Au moins 15 semaines de congé pour les jeunes pères? Le débat relancé à Berne

Congédié par la porte du Parlement, le congé parental revient par la fenêtre. La Commission fédérale pour les questions familiales a présenté à Berne un nouveau modèle plus égalitaire, de 38 semaines à se répartir entre les deux parents.



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Un père prépare de la bouillie pour sa fille de six mois à la maison pendant son jour de congé, photographié à Zurich, en Suisse, le 19 mai 2020. | Keystone / Christian Beutler

La Suisse est le dernier bastion européen à résister au congé parental. Mais pour combien de temps? Ce mardi, la Commission fédérale pour les questions familiales (COFF) a lancé un pavé dans la mare, en proposant ce mardi 14 février un congé parental de 38 semaines (9 mois et demi).

Ce congé serait réparti entre la mère et le père, mais la commission a opté pour une formule semi-flexible. Dans ce cadre, le père (ou deuxième parent) aurait de droit un minimum de 15 semaines de congé, contre 2 semaines à l’heure actuelle.

L’exception suisse. En Suisse, le droit fédéral prévoit 14 semaines de congé maternité pour les mères (depuis 2004) et 2 semaines pour les pères (depuis 2021 seulement). Dans une étude publiée en 2021, l’Unicef classe la Suisse en queue de peloton en matière de congé parental (38e sur 41) sur une liste de pays de l’UE et de l’OCDE.

Chez nos voisins européens, le congé parental ne fait plus débat. Il est en vigueur dans certains pays depuis plusieurs générations, comme la Norvège (depuis 1978). En moyenne, la durée du congé parental dans les pays de l’OCDE s’élevait à 54 semaines (1 an, 1 mois et 2 semaines) en 2019.

Un casse-tête politique. Ce n’est pas faute d’avoir essayé. Jusque là, les objets parlementaires n’ont jamais passé la barre du Conseil national et du Conseil des Etats. Les opposants à une réforme dénoncent un financement trop coûteux.

Depuis, diverses initiatives cantonales pour un congé parental ont vu le jour. Ces projets présentent souvent de grandes disparités, et se soldent la plupart du temps par un échec. «L’idée est de parvenir à une solution nationale plutôt qu’à 26 réglementations différentes», explique la COFF dans son communiqué.

La nouvelle formule. La Commission fédérale pour les questions familiales (COFF), organe consultatif du Conseil fédéral, défend depuis 2010 le projet d’un congé parental national, qu’elle ne cesse d’adapter au fil des évolutions de la société.

Il faut dire que si la Suisse reste fidèle à sa politique des petits pas, la situation évolue depuis peu en faveur d’une politique familiale plus inclusive: en 2021, un congé paternité de deux semaines entre en vigueur, et le mariage pour tous est accepté aux urnes; à partir du 1er janvier 2023, un congé de deux semaines est également accordé aux parents qui adoptent.

Ce mardi, la COFF revient à la charge, en proposant un nouveau modèle qu’elle estime plus «égalitaire» et adapté aux nouveaux besoins des parents. Celui-ci comprend:

  • Comme pour son modèle précédent, la COFF propose un total de 38 semaines de congé parental, contre 14 semaines de congé maternité et 2 semaines de congé paternité aujourd’hui, (soit 16 semaines au total).

  • Néanmoins, les parents – indépendamment de leur sexe – auront cette fois-ci le choix de se répartir le congé à égalité, soit 19 semaines chacun, ou d’opter pour une répartition semi-flexible.

Quid de la répartition? Dans ce cas de figure:

  • La mère conserve évidemment ses 8 semaines d’interdiction de travail (déjà de droit).

  • La mère dispose de 15 semaines de congé supplémentaire, et peut en transférer jusqu’à 7 semaines au père.

  • Le père (second parent) dispose de 15 semaines de congé, impossibles à transférer à la mère.

  • Sauf en cas de besoin de soutien particulier, les congés de la mère et du père ne pourraient se chevaucher que pendant deux semaines dans les six mois qui suivent la naissance.

Selon la répartition choisie, les mères bénéficieraient ainsi de 16 à 23 semaines de congé et les pères de 15 à 22 semaines.

Un exemple concret de réparition flexible du congé parental. Source: COFF 2023

La répartition des semaines entre les parents serait ainsi moins flexible que dans les modèles précédents, afin de tendre à davantage d’égalité en pratique, soutient Monika Maire-Hefti, présidente de la COFF:

«Dans les pays nordiques, on constate que le libre choix des congés nuit à la mise en place d’une meilleure égalité entre les sexes. Dans la plupart des cas, le père ne prend pas les congés destinés à être répartis librement.

Ceux-ci sont presque toujours pris par la mère, ce qui réduit sa participation au marché du travail, et a des conséquences négatives sur son salaire, ses perspectives professionnelles et sa prévoyance vieillesse.»

En réservant des semaines de congé au père, la COFF espère atteindre une meilleure répartition de la charge de travail rémunérée et non-rémunérée.

Comment sécuriser les droits actuels

D’après une première évaluation de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS), près de 30% des pères suisses n’utilisent pas leurs deux semaines de congé paternel, souvent pour des questions d’éligibilité.

Pour corriger le tir, la COFF propose toute une série d’améliorations aux congés existants – comme protéger les pères contre les licenciements, ou étendre le droit à l’allocation aux parents en formation et aux couples de même sexe.

La mère devrait aussi avoir le droit de poser un congé prénatal jusqu’à deux semaines avant la naissance de l’enfant. Nadine Hoch, responsable du secrétariat à la COFF:

«Cette possibilité permettrait de réduire les coûts à la charge de l’employeur, car toute absence durant la grossesse est actuellement considérée comme une absence pour cause de maladie.»

Plus de 80% des femmes enceintes sont en arrêt maladie partiel ou total avant l’accouchement, dont deux tiers dans les deux semaines précédents le terme, souligne la COFF.

Le prix du changement. C’est la pomme de discorde. A l’échelle de la Suisse, la COFF chiffre son projet de congé parental à 2,4 milliards de francs par an, en hausse de 1,4 milliard par rapport au coût actuel des congés maternité et paternité.

Pour financer la différence, les cotisation APG (allocations pour perte de gain) devraient passer de 0,5% du salaire à 0,8 ou 0,9%, pris en charge à égalité entre l’employeur et l’employé.

Ce surcoût pourrait être en partie compensé par un taux d’activité (et donc un volume de cotisations) supérieur chez les femmes, argumente Monika Maire-Hefti:

«Dans les pays voisins avec un congé parental, on remarque que les mères regagnent le marché du travail avec un taux plus élevé après l’accouchement. Les études montrent qu’une augmentation du temps de travail des mères de 1% permettrait de financer 18 à 20 semaines du congé parental.»

La suite? En élaborant ce nouveau modèle de congé parental, la commission d’experts souhaite raviver le débat politique et de société. «On espère que ce modèle sera repris par les politiques. Les élections fédérales de l’automne pourraient être l’occasion de remettre la question sur la table», conclut Monika Maire-Hefti.