La situation de départ. Le 24 février, au moment du déclenchement de l’invasion, le déséquilibre semble patent:
L’armée russe compte 900’000 soldats actifs, l’armée ukrainienne 209’000, selon un décompte de l’International institute for strategics studies de novembre 2021.
L’armée russe dispose de 9780 tanks contre 2172 pour l’armée ukrainienne.
L’aviation russe dispose de 1857 avions de combat contre 160 pour l’Ukraine
La flotte russe de la mer Noire dispose de douze navires de combat, l’Ukraine d’un seul, qu’elle a depuis sabordé.
Bien sûr, toutes les forces russes ne sont pas engagées dans le conflit.
Selon les données du consultant spécialisé en Pologne Rochan consulting, environ 60’000 militaires russes étaient positionnés le long de la frontière avec l'Ukraine, en Crimée et en Biélorussie, lors des exercices militaires lancés la mi-février.
Divers médias occidentaux citant des sources officielles et non officielles ont aussi rapporté que la Russie avait rassemblé entre 100’000 et 130’000 soldats.
On ignore combien de forces russes se trouvaient dans la région ukrainienne contestée du Donbass, la Russie niant toute implication dans cette région avant le conflit.
Au total, les forces semblent donc plus équilibrées qu’il n’y paraît. Face aux 145’000 militaires d’active ukrainiens, les Russes ont aligné depuis le début de la guerre 160’000 hommes, selon des estimations rapportées par le journal Le Monde.
La situation après trois mois. Les pertes humaines des deux côtés restent difficiles à estimer. Des sources militaires françaises citées par Le Monde évoquent le chiffre de 15’000 morts des deux côtés.
Selon le consultant spécialisé turc Oryx, qui comptabilise les pertes matérielles de chaque camp en s’appuyant sur les images satellites et celles diffusées sur les réseaux sociaux, plus de 700 chars russes ont été détruits par les forces ukrainiennes. Ils se sont révélés particulièrement vulnérables aux missiles portatifs comme les Javelin américains ou les NLAW britannico-suédois.
Analyste auprès de l’ONG britannique Action on armed violence (AOAV), Chiara Torelli explique:
«Les armes qui ont fait une différence majeure en faveur des forces ukrainiennes depuis le début du conflit sont les systèmes d'armes antichars, les drones (renseignement, défensifs, offensifs) et les systèmes de défense aérienne.»
Elle ajoute :
«Les livraisons d’armes ont un rôle massivement important. Avant l'invasion, et l'aide qui l'accompagnait, l'armée russe avait un avantage significatif en termes d'équipement et de flexibilité stratégique. Mais avec les livraisons de chars, de systèmes d'armes antichars et de systèmes de défense aérienne, l'Ukraine s'est montrée très rapide à s'adapter. La Russie n'a pas été en mesure d'utiliser son avantage matériel de manière aussi efficace ou impactante que tout le monde le pensait.»
Après le retrait des forces russes de la région de Kiev et en partie de celles de Kharkiv, ainsi que les prises de Kherson et Marioupol au sud, les combats se concentrent actuellement dans la région du Donbass. Cela change la nature des opérations, puisqu’on passe d’une guerre de mouvement à une guerre de position, dans laquelle l’artillerie joue un rôle prépondérant.
C’est la raison pour laquelle le président ukrainien Volodymyr Zelensky demande presque quotidiennement aux pays occidentaux de fournir une artillerie plus lourde. Cela commence à influencer le type d’armes qui sont livrés à l’Ukraine.
Les armes livrées. Selon la base de données Ukraine support tracker du Kiel Institute, des armes et des équipements d'une valeur d'au moins 27,2 milliards d’euros ont récemment été envoyés ou promis à l’Ukraine, en grande partie par des nations occidentales. A cela s’ajoute un montant quasi équivalent d’aide financière pour l’achat d’équipements militaires par l’Ukraine.
Au total, 31 pays ont livré des équipements militaires à l’Ukraine. Les pays qui ont le plus livré directement (ou promis) d’armes et d’équipements militaires sont:
Les Etats-Unis, 13,9 milliards d’euros.
La Pologne, 1,5 milliard d’euros.
Le Royaume-Uni, 1,3 milliard d’euros.
Dans le détail, le site d’Oryx rapporte les livraisons d’armes lourdes par type et par pays.
Ces informations sont à compléter pour les armes plus légères par celles du Forum sur les ventes d’armes (Forum on the arms trade). Mais en substance:
Les Etats-Unis ont envoyé à l'Ukraine plus de 50 millions de munitions pour armes de poing, fusils et artillerie. Le Canada, la Grèce, la Lituanie, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la Roumanie et la Slovénie ont également fourni des munitions.
Les Etats-Unis ont indiqué avoir livré 2000 missiles anti-aériens Stinger à l’Ukraine et 7000 missiles antichars Javelins depuis le début de la guerre.
Le Royaume-Uni a livré 10’000 missiles anti-chars (NLAWs et Javelins).
Du matériel moderne. Les pays occidentaux n’ont pas vidé leurs stocks d’armes anciennes pour équiper l’Ukraine. Spécialistes des livraisons d’armes au Watson institute de l’Université Brown, Bill Hartung affirme:
«A l'exception des avions de combat et des drones armés de grande taille, l'Ukraine reçoit la plupart de ce qu'elle a demandé et les armes sont pour la plupart des systèmes de génération actuelle.»
Chiara Torelli ajoute:
«Certaines de ces armes sont même ultra modernes, comme les drones turcs Bayraktar ou les drones suicide Switchblade.»
Début avril, le Premier ministre britannique Boris Johnson avait évoqué l’envoi de «matériel de qualité supérieure», comme les missiles anti-aériens Starstreak.
Les Etats-Unis envisagent maintenant d'envoyer des drones plus perfectionnés, comme le MQ-9 Reaper, qui est deux fois plus rapide que les drones que l'Ukraine utilise actuellement.
Les futures livraisons. L’enlisement du conflit change la nature des livraisons d’armes à l’Ukraine, avec actuellement une montée en puissance de celles d’artillerie.
Certes, comme le souligne Bill Hartung:
«La nouvelle loi de prêt-bail américaine est juste un moyen de livrer des armes plus rapidement. Elle ne déterminera pas les types d'armes qui seront envoyées en Ukraine. Il s'agira de décisions politiques et stratégiques distinctes.»
Cette loi comprend cependant six milliards de dollars pour permettre à l'Ukraine de s'équiper en véhicules blindés et de renforcer sa défense antiaérienne.
Les responsables américains ont aussi évoqué l'envoi de lance-roquettes multiple de type M270 ou M142 HIMARS une fois actée la loi autorisant le président américain à transférer des armes excédentaires des stocks américains (à hauteur de 11 milliards de dollars), sans avoir à demander l'approbation du Congrès. Ces systèmes sont capables de frapper une cible à 70 kilomètres, soit trois fois plus loin que les obusiers
Les Etats-Unis ont aussi annoncé qu'ils prévoyaient d'envoyer 90 obusiers M777 et les véhicules blindés chenillés utilisés pour les remorquer.
La question navale et aérienne. Si le torpillage du navire de combat russe Moskva a pu être attribué à un missile de croisière Neptune de fabrication ukrainienne, et que la supériorité aérienne russe ne lui a pas permis de s’assurer le contrôle du ciel ukrainien, la question reste ouverte de livraisons d’armes dans ces deux domaines.
L'Ukraine cherche en particulier à obtenir des missiles qui pourraient éloigner la marine russe de ses ports de la mer Noire, afin de permettre la reprise de ses exportations de céréales et d'autres produits agricoles.
Des responsables américains ont indiqué que deux types de missiles antinavires, le Harpoon fabriqué par Boeing et le Naval Strike Missile fabriqué par Kongsberg et Raytheon sont en cours d'examen pour être expédiés à l'Ukraine. Le Danemark va envoyer un système lance-missiles anti-navires Harpoon. Normalement les Harpoons sont embarqués à bord de navires de guerre ou de sous-marins dont l’Ukraine ne dispose pas. Le Danemark est cependant le seul pays à avoir acquis une version de ce lance-missiles installé sur un camion pour tirer depuis la côte.
En ce qui concerne les forces aériennes, l’Ukraine dispose de moins d’avions de combat que la Russie et, qui plus est, il s’agit d’appareils plus anciens (des MIG-29 surtout).
Des livraisons de MIG-29 par la Pologne ont été évoquées avant d’être démenties. Il semble que seules des pièces détachées aient été livrées à l’Ukraine.
La suite. Au-delà des équipements reçus et en voie d’être acheminés, l’Ukraine cherche à obtenir d’autres systèmes d’armes, tels que des missiles américains Patriot ou des tanks allemands Leopard 2, comme le rapporte cet article de l’European council on foreign relations.
Cela pose cependant la question du risque d’escalade du conflit et de la disponibilité de ces armes:
Le Kremlin a ainsi indiqué le 28 avril dernier que «les livraisons d'armes à l'Ukraine menacent la sécurité de l'Union européenne».
D’autre part, le ministère de la défense russe a affirmé que son armée avait détruit un grand nombre d'armes fournies à l'Ukraine par les Etats-Unis et les pays européens.
Selon Bill Hartung:
«Pour l'instant, les stocks des types d'armes utilisées dans les combats — antichars, antiaériens, petits drones, artillerie — sont suffisants pour faire face à un éventuel épuisement.»