La PCR est une excellente illustration de ce que nous appelons les technologies de confiance. Dans son utilisation actuelle, l’enjeu est évident: nous voulons savoir si quelqu’un a contracté ou non un virus potentiellement mortel. Mais la PCR ouvre bien plus de possibilités. Elle peut servir à diagnostiquer non seulement des infections virales, mais aussi bactériennes ou fongiques. Les scientifiques travaillent à son utilisation dans la détection du cancer.
La PCR s’illustre également comme technologie de confiance dans des domaines non médicaux. En forensique, elle permet d’identifier les individus qui ont laissé des traces ADN sur les scènes de crime. Dans l’alimentaire, elle peut vérifier la composition des produits ; de simples tests de routine bon marché, calibrés pour amplifier de l’ADN de cheval, auraient pu éviter le fameux scandale des lasagnes. La même approche peut servir à identifier les poissons à l’étal. L’enjeu est considérable : alors que tant d’espèces halieutiques sont menacées par la surpêche, plus de 30% des produits de la mer seraient mal étiquetés. La préservation de la vie marine dépend d’une meilleure traçabilité.
Une technologie couteau suisse
La PCR est un couteau suisse des technologies de confiance. Elle doit sa versatilité à la stabilité remarquable de la molécule qu’elle amplifie, l’ADN. Elle permet la vie dans des environnements extrêmes de température, d’acidité, de salinité ou de rayons ionisants. Dans de bonnes conditions, un brin d’ADN peut rester lisible pendant environ 1,5 million d’années. En comparaison, la durabilité de nos supports numériques se compte en décennies et les écritures sumériennes taillées dans la pierre sont souvent indéchiffrables après quelques milliers d’années d’érosion. Après plus de trois milliards d’années de tests ininterrompus — le début de la vie sur Terre est un sujet disputé — l’ADN continue de faire ses preuves.
L’ADN est également d’une compacité déroutante. Un seul gramme de cette molécule pourrait contenir l’équivalent d’environ 215 millions de gigaoctets, soit autant qu’environ 400’000 ordinateurs portables de capacité moyenne. C’est pourquoi plusieurs entreprises travaillent sur des projets visant à stocker de l’information numérique sur de l’ADN.
Des signatures génétiques uniques
A la fois minuscule et résistant, l’ADN laisse dans l’environnement des millions de traces invisibles et durables. Ce sont autant de messages tout autour de nous, une véritable bibliothèque que la PCR permet de consulter. Humains, animaux et, surtout, microorganismes reproduisent et sèment un peu partout cette molécule. L’échelle défie le sens commun, tant ces particules sont nombreuses. Ainsi, dans nos eaux usées, on retrouve suffisamment d’ADN de SARS-CoV2 pour fournir une estimation relativement précise de l’avancée de la pandémie dans une ville donnée.
Plus surprenant encore, la variété des microorganismes forme de véritables écosystèmes locaux. Chaque région, mais aussi chaque foyer familial, bureau ou manufacture sont des biotopes à part, porteurs d’une signature ADN unique. C’est pourquoi des vêtements fabriqués au Vietnam ou en Turquie ne sont pas imprégnés des mêmes traces ADN, pas plus que des cotons indiens ou américains. Ce principe a inspiré la startup californienne Phylagen, qui développe un système de suivi des chaînes de production. Le but: déterminer si nos produits ont respecté les circuits officiels, s’assurer qu’ils répondent à certaines normes environnementales, traquer les contrefaçons, lutter contre l’exploitation des travailleurs…
La PCR pour assurer la traçabilité des produits
Des chercheurs de Harvard ont même poussé le principe un peu plus loin encore. Ils utilisent de l’ADN pour étiqueter les produits. Ils introduisent dans le génome de bactéries ou de levures des séquences d’ADN inactives. Cet insert ne joue aucun rôle biologique: il ne fait que contenir une information. Déposés sur des fruits et légumes, les microorganismes transportent et copient ladite information tout au long de la chaîne de distribution. Avec la PCR, nous pouvons détecter la présence de ce code-barre invisible et tracer l’origine du produit.
Avec les produits alimentaires, la démarche risque de susciter des résistances — bien qu’il s’agisse de microorganismes présents par milliards dans notre environnement, comme la levure de bière Saccharomyces cerevisiae. Qu’à cela ne tienne, nous pourrions appliquer le même procédé à une paire de chaussures ou à tout autre bien de consommation !
A vrai dire, la PCR n’est pas une technologie monolithique. Depuis son invention en 1983, nous l’avons déclinée en de nombreuses variantes pour améliorer sa précision ou son accessibilité. Parmi les procédés de nouvelle génération, nous pouvons citer celui de la startup suisse Swissdecode. Sa technologie d’amplification de l’ADN est beaucoup moins exigeante que la PCR classique en termes d’équipement et de température. Swissdecode développe sa solution pour la détection des contaminants alimentaires.
Avec CRISPR, le spectre de la fraude?
Des foules d’applications se dessinent à l’horizon pour la PCR. Mais comme à chaque fois que l’on déploie une nouvelle technologie de confiance, on voit apparaître des moyens de fraude. L’Histoire se répète. A peine avons-nous maîtrisé les techniques de métallurgie pour frapper la monnaie que les faussaires la reprenaient à leur compte. Or depuis peu, nous disposons de moyens efficaces et accessibles pour éditer, et donc falsifier l’ADN.
Avant la découverte de CRISPR en 2012, l’édition de l’ADN était un procédé laborieux et coûteux, réservé à quelques laboratoires hyperspécialisés. Des opérations longues de plusieurs mois, facturées plusieurs milliers d’euros, sont désormais effectuées en quelques heures et pour une cinquantaine d’euros. N’importe quel laboratoire en biologie peut modifier des séquences entières du génome. C’est l’accessibilité de cette technologie qui a valu à ses deux inventeuses le prix Nobel de chimie 2020. C’est elle aussi qui ouvre de nouvelles possibilités de fraude. Pour l’heure, on ne peut pas encore éditer l’ADN avec la même aisance qu’un simple texte sur un ordinateur, mais chaque année nous approchons un peu plus ce but.
La confiance, une nécessité pour l’économie
Les technologies de confiance comme la PCR, mais aussi les cartes de crédit, la blockchain ou les satellites GPS et les bons vieux billets de banque participent à un vaste système que nous appelons l’économie de la confiance. C’est ce système de technologies anciennes et nouvelles qui permet de vérifier la solvabilité d’un client, la conformité d’un bien ou d’un service, la sécurité d’une interaction. Pendant cette pandémie, il informe également le statut infectieux des personnes – touristes, clients d’un restaurant, collaborateurs d’une entreprise.
La confiance n’est pas un lubrifiant de l’économie, mais une nécessité. C’est pourquoi la PCR est appelée à jouer un rôle central. En 2019, elle générait un chiffre d’affaire global de 398 millions de dollars, et elle dépassera le milliard en 2027 selon Research and Market. Des estimations sont sans doute bien trop conservatrices, qui ne prennent en compte que les applications médicales et forensiques. Avec son potentiel pour certifier les chaînes de distribution et assurer la traçabilité des produits, la PCR présente trop de possibilités pour qu’on ne lui prédise pas un brillant avenir.