André Borschberg:«L’aviation durable est déjà une réalité»

André Borschberg

Après ma carrière de pilote, d’ingénieur et d’entrepreneur, les 13 ans qu’a duré l’aventure Solar Impulse n’ont pas seulement été une extraordinaire aventure humaine et sportive. Quand je me suis engagé au côté de Bertrand Piccard, j’avais la conviction que face au changement climatique il fallait faire quelque chose.  Ce que Solar Impulse m’a appris c’est que c’est possible. Les technologies et les solutions sont déjà là pour des transports 100% durables.

C’est ce qui m’a amené à créer à H55 il y a trois ans pour développer et commercialiser les technologies de Solar Impulse. Je connais bien l’industrie aéronautique mais je ne crois pas qu’une innovation aussi radicale que le passage des hydrocarbures à l’électrique puisse venir des grandes structures. Il y a trop de contraintes, trop de règles, trop d’héritages et d’habitudes.  A force d’être actif tous les jours dans un domaine précis, on finit par ne voir que les obstacles qui se dressent contre le changement et non plus les opportunités qui se présentent. A l’inverse je crois que, comme au temps des pionniers de l’aviation, des entrepreneurs passionnés sont assez naïfs pour ne pas trop tenir compte de ces limitations, assez candides pour penser que des nouvelles solutions sont possibles et suffisamment sages pour savoir s’entourer des bonnes compétences.

C’est ce qui est en train de se passer avec la mobilité électrique terrestre. Les Tesla et autres montrent qu’il est possible de développer un nouveau paradigme avec une consommation énergétique qui peut être réduite de l’ordre de deux tiers grâce à une efficience des véhicules deux à trois fois supérieure.

On me rétorque que passer à l’électrique les cinq millions de voitures du parc suisse va aboutir à une consommation d’électricité bien supérieure qu’il faudra bien produire. C’est vrai. Mais elle ne sera que de l’ordre de 30% de par l’efficience des voitures électriques. Et il ne faut pas oublier que cela ne va pas se produire du jour au lendemain. Si cela se déroule sur 20 ans cela suppose une augmentation de la consommation électrique de l’ordre de 1% par an. C’est parfaitement dans nos cordes.

Et il y a d’autres avantages: moins de maintenance, des voitures qui durent plus longtemps, le développement de places de parc avec des bornes de recharge. Un domaine où les villes suisses devraient s’inspirer de l’audace de nos ancêtres qui ont bâti les lignes de chemin de fer sans savoir s’ils reverraient leurs investissements. De plus, cinq millions de voitures électriques en Suisse c’est autant de capacité de batteries qui, quand ces véhiculent ne roulent pas, ce qui est quand même l’essentiel du temps, vont devenir un système de stockage.

Stocker de l’énergie avec ces batteries interconnectées est crucial. C’est le moyen de stocker un peu partout la production électrique elle-même décentralisée des énergies renouvelables comme le solaire et l’éolien. Compétitives en matière de coûts désormais, ces dernières produisent de manière intermittente en fonction de la météo. Mais avec cinq millions de batteries répartis dans le pays, on peut en grande partie contourner cette ultime difficulté.

Je sais bien qu’il y a beaucoup de critiques sur les batteries. De ce point de vue, j’aimerais bien qu’on regarde d’où elles partent et quel rôle les lobbys pétroliers jouent pour les alimenter? Mais surtout il faut bien voir que ces technologies n’en sont qu’à leurs débuts. Les batteries ont un potentiel d’amélioration énorme tant du point de vue de leur production que de leur recyclage que des matériaux utilisés. C’est un peu comme le moteur à combustion il y a 100 ans!

Reste que si nous bénéficions des retombées de l’électrification des voitures, celle des avions est plus compliquée. Les exigences de sécurité font que forcément cela prendra plus de temps. Et ce n’est pas demain que l’on fera voler un Airbus électrique. C’est pour cela que nous avons choisi d’y aller progressivement. En commençant par un avion d’entrainement dans lequel je viens d’embarquer mes premiers passagers. Comme ces avions passent leur temps à décoller et à atterrir nous découvrons de nouveaux avantages à l’électrique: plus de bruit, plus d’émissions locales de CO2…

C’est aussi meilleur marché. Vous pouvez avoir les technologies les plus efficientes du monde, elles ne seront acceptées qui si c’est viable économiquement. Or l’avion électrique est moins cher parce que plus simple. Il demande peu de maintenance.  Il consomme beaucoup moins et sa durée de vie est plus grande.

Notre premier client dans ce domaine est un avionneur tchèque, BRM Aero dont nous avons électrifié un avion d’école. Cela commence à se savoir et nous recevons de plus en plus de demandes spontanées de la part d’écoles de pilotage. L’avion sera disponible à partir de 2022 à l’issue d’un processus de certification qui exige de démontrer que même si une cellule de batteries venait à prendre feu l’ensemble ne brulerait pas. Ensuite nous envisageons des avions de plus en plus grands, pour l’instant jusqu’à 19 places. Ils auront un système hybride: électrique pour le décollage et l’atterrissage pour profiter du silence dans la proximité des aéroports, thermique mais efficient pour le vol de croisière.

Je pense que l’aviation électrique va se développer d’abord autour de deux axes: les avions régionaux dans les dix ans à venir et avant cela, peut-être d’ici cinq ans pour les premiers, les avions taxis de type VTOL. Eux décollent comme un drone avec l’avantage de la souplesse de l’hélicoptère puis volent comme un avion avec l’avantage de la vitesse et de la faible consommation. Seule la propulsion électrique permet ce tout en un pour faire de ce rêve de science-fiction une réalité abordable.

Ce passage du rêve à la réalité c’est ce que fait H55. Nous sommes aujourd’hui 30 ingénieurs. Nous serons 40 début 2021 et 50 dans une année. Avec Energypolis, le nouveau campus commun de l’EPFL et de la Haute Ecole HES-SO du Valais, nous pouvons désormais nous appuyer sur un tissu de recherche performant alliant qualité et rigueur à la Suisse avec ce petit grain de folie des inventeurs de notre pays.