Un intestin en 3D évalue l’impact des nanoplastiques sur la santé

Le modèle cellulaire en 3D reproduit la barrière épithéliale intestinale. | DR

Les particules de nano- et micro-plastiques sont partout dans l’environnement, et parfois dans nos aliments. Mais sont-elles assez petites pour franchir la barrière gastro-intestinale humaine, se fixer dans les cellules de l’organisme et impacter la santé? Pour le savoir, des chercheurs de l’Adolphe Merkle Institute (ADI) à Fribourg ont développé un modèle d’intestin en trois dimensions (3D).

Pourquoi c’est important. L’OMS conclut dans un rapport publié ce jeudi que les microplastiques dans l’eau potable présentent un risque faible pour la santé. Mais, lors de la présentation des résultats, ses experts ont insisté sur la nécessité de poursuivre les recherches, notamment pour mieux comprendre les effets biologiques de l’ingestion et de l’accumulation éventuelle des microplastiques et surtout des nanoplastiques chez l’humain.

A l’heure actuelle, on sait peu de chose de la toxicité des déchets plastiques pour la santé humaine. L’érosion mécanique, les rayons UV et l’oxydation qui fragmentent ces détritus en microplastiques n’a pas de raison de s’arrêter à cette dimension. Or en dessous de 200 nanomètres (nm), des nanoplastiques pourraient franchir les barrières biologiques. Appelée translocation, cette forme de contamination a été démontrée chez les poissons et les mollusques. Reste à savoir si c’est le cas chez l’humain.

Roman Lehner, chercheur à l’ADI:

«On sait très peu de choses sur la translocation des nanoplastiques. Par exemple, l’acide gastrique est-il susceptible de servir de barrières à ces nanoparticules? Ou au contraire en change-t-il la structure en libérant des additifs toxiques associés à ces polymères? Nos recherches ont pour but d’éclairer ces mécanismes.»

L’intérêt est donc évident de mieux comprendre les processus biologiques en jeu. C’est dans ce cadre que s’inscrivent les recherches de l’AMI autour de ce modèle d’intestin en trois dimensions (3D), au sujet duquel peu de détails peuvent être dévoilés, le développement étant encore en cours.

C’est grave, docteur? Composé d’atomes de carbone et d’hydrogène, un plastique dégradé à l’échelle d’un nanoplastique n’est sans doute pas toxique de manière aiguë pour la santé humaine – on l’aurait déjà établi. Mais on n’a aucune idée de l’effet de leur accumulation.

  • Ces plastiques sont associés à des additifs qui peuvent représenter jusqu’à 30% de leur masse dans le cas du PVC. Il s’agit de colorants, de durcisseurs, de retardateurs de flamme… destinés à donner certaines caractéristiques aux polymères auxquels ils sont joints.

  • Aucune information précise sur ces plus de 400 additifs n’est obligatoire sur les emballages.

  • Certains additifs sont connus comme cancérogènes ou mutagènes et donc dangereux pour la santé (comme le Bisphenol A, ou certains fixateurs phtalates).

  • On sait qu’ils sont en partie libérés lors de la fragmentation des déchets plastiques et se retrouvent dans l’environnement. Ils pourraient l’être aussi lors de la translocation biologique.

Les difficultés. La recherche sur les nanoplastiques est compliquée par la difficulté à les repérer dans l’environnement. A cette échelle, ils ne se distinguent pas facilement d’autres nanomolécules naturelles. Les chercheurs ne disposent de modèles de nanoplastiques que pour les polystyrènes.

C’est la raison pour laquelle Roman Lehner a monté un projet de science citoyenne en créant l’association Sail & Explore l’an dernier. Associé au skipper Philipp Haefelfinger, il emmène en voilier des chercheurs amateurs dans des missions d’exploration destinées à recueillir des échantillons d’eau contenant des microplastiques en mer Tyrrhénienne et aux Açores.

L’avis de l’expert. Fabienne Lagarde, chercheuse à l'Institut des molécules et des matériaux du Mans:

«L’étude des nanoplastiques et de leur influence sur la santé humaine est un domaine émergent. Parce qu’il est difficile de faire vieillir des polymères, on connaît mal leur fragmentation (et ses limites, par exemple mécaniques). Modéliser leurs mécanismes de translocation avec un modèle de barrière intestinale et d’autres barrières cellulaires est une piste très prometteuse pour étudier les effets sur la santé à long terme. L’Union européenne est d’ailleurs en train de lancer de gros appels à projet pour étudier ces mécanismes.»

Le contexte. Le sujet des microplastiques suscite beaucoup d’attention. Un rapport de l’Université de Newcastle, en Australie, a conclu en juin dernier qu’un individu moyen pourrait ingérer jusqu’à cinq grammes de plastique chaque semaine, soit le poids d’une carte de crédit. L’association Oceaneye a par ailleurs révélé cet été que la pollution par les microplastiques est presque aussi importante dans le lac Léman que dans les océans.