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Quel avenir pour les vaccins ARN? Entretien avec un pionnier

Steve Pascolo à la Clinique Générale-Beaulieu le 28 avril 2022 à Genève. | Clinique Beaulieu, courtoisie.

Ils sont signés Moderna et Pfizer-BioNTech, et les épaules de sept Suisses sur dix s’en souviennent. Les vaccins à ARN messager ont ouvert un champ de possibilités immense en médecine. Steve Pascolo, chercheur en immunologie à l’Hôpital universitaire de Zurich, est un des acteurs de cette révolution. Nous l’avons rencontré à l’occasion de sa venue à Genève, pour intervenir à la première journée de cancérologie de la Clinique Générale-Beaulieu. Entretien sur ce que nous réserve l’avenir.

Heidi.news – Vous expliquez que pendant longtemps, les recherches sur les vaccins à ARN messager synthétique ont été considérées comme le «vilain petit canard» des vaccins.

Steve Pascolo – Une anecdote. Dès 2010, je voulais faire une plateforme de recherche sur les thérapies et vaccins à base d’ARN messager synthétique à l’Hôpital universitaire de Zurich et j’écrivais environ une fois par an au directeur de la recherche pour obtenir un financement. Il finit par me dire en 2015 qu’il allait demander l’avis d’un «grand professeur» en médecine de l’hôpital. On se réunit tous les trois dans le bureau de ce professeur, je présente le sujet. Il me répond «non, ça ne peut pas marcher» et me demande de quitter la pièce. Fin de l’histoire.

Ca illustre le mépris vis-à-vis de ce type de recherche, jusqu’à récemment encore. En recherche, l’ARNm synthétique était cher à produire et, dans les livres de biologie, il est écrit que l’ARNm est instable, les préjugés étaient puissants. Beaucoup de scientifiques et de médecins, ont tendance à ériger en dogme ce qui est écrit dans les livres.

Lire notre exploration: Vaccin à ARN messager: la revanche des outsiders

Vous incriminez aussi des effets de «mode» dans la recherche.

Il y a vingt ans, la grande mode en oncologie, c’était les cellules dendritiques (qui jouent un rôle clé dans l’induction de la réponse immunitaire, ndlr.). Tout le monde publie par vagues, reçoit des financements. Il y a aussi les domaines «sexy» et ceux qui ne le sont pas. La chloroquine contre le cancer par exemple, ce n’est pas sexy, il n’y a pas d’argent, pas de brevet. Pour monter un essai de phase 1 dans le cancer du pancréas à Zurich là-dessus, ça m’a pris trois ans pour recruter neuf patients. La recherche médicale est comme un paquebot, qui prend beaucoup de temps pour changer de cap.

La pandémie a changé la donne pour les vaccins ARNm. Mais finalement, les technologies existaient déjà pour bonne part. Qu’est-ce qui a été vraiment nouveau?

Le fait de formuler l’ARNm synthétique dans des nanoparticules de lipides «ionisables» capables après injection intramusculaire d’atteinte le bon type de cellules immunitaires, c’est ça qui est nouveau. Si la pandémie avait eu lieu deux ans avant, l’histoire aurait été différente. Ne le dites pas aux complotistes. (Rires.)

Avant cela, BioNTech avait déjà des vaccins ARNm en intraveineuse en développement, tandis que Moderna était plutôt sur les thérapies ARNm et CureVac venait d’échouer dans ses essais cliniques contre le cancer de la prostate. L’équipe de Daniel Blankschtein à Boston a publié en première mondiale en mars 2017 sur les nanoparticules de lipides. A quelques années prêt, on aurait eu des vaccins beaucoup moins efficaces ou même peut être pas de vaccin ARNm du tout!

«Il n’y a aucune protéine animale dans les vaccins ARN»

Etant vous-même concerné, vous expliquez que l’ARNm synthétique est «végan». Vous pouvez développer?

Il n’y a aucune protéine animale dans les vaccins ARNm synthétiques, alors que presque tous les autres vaccins en ont. Par exemple, les vaccins classiques à base de virus sont cultivés dans des œufs ou dans des cultures cellulaires contenant du sérum de veau. Ca a un impact sur les animaux, les élevages ont un impact sur l’environnement et, quand vous purifiez le virus, vous avez des traces de protéines animales. Pour des végans, ça peut être un problème, et ça peut aussi provoquer des allergies. Alors qu’il n’y a aucun produit animal dans les vaccins ANRm synthétique: les enzymes utilisées proviennent de bactéries et les nucléotides employés sont synthétisés par chimie.

On a l’impression que pour une frange de la population, minoritaire mais vocale, les vaccins ARNm sont devenus l’ennemi à abattre et un symbole de «dictature sanitaire»…
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