Que reste-t-il à découvrir en physique fondamentale?

Résultats d'une expérience du CERN impliquant un muon, un anti-muon, et un photon | CERN

Après la découverte du boson de Higgs il y a 7 ans jour pour jour, quel avenir pour la physique des particules? A l’occasion de la Conférence mondiale des journalistes scientifiques, qui se tient du 1er au 5 juillet à Lausanne, la question était posée à plusieurs physiciens de prestigieuses institutions suisses et internationales.

Pourquoi c’est important. Avant de faire progresser notre compréhension du monde, les infrastructures (accélérateurs, détecteurs de particules…) requises pour la recherche en physique des particules impliquent des chantiers aux coûts pharaoniques. Cela en fait un domaine stratégique, entre coopération et compétition scientifique internationale.

Ont participé à ce débat passionnant: Fabiola Gianotti, directrice générale du CERN, le physicien Nigel Lockyer, qui travaille sur l’accélérateur de particules du Fermilab aux Etats-Unis, et enfin Reynald Pain, directeur de l'Institut national de physique nucléaire et de physique des particules du CNRS en France. Échanges croisés.

L’état de l’art. La directrice du CERN rappelle que malgré les percées récentes en physique fondamentale, le champ à explorer reste vaste. Quelques exemples:

«Nous avons compris beaucoup de choses quant à la nature de la matière, mais cela représente moins de 5% de la masse de l’univers, le reste se composant de matière noire et d’énergie noire.»

  • La disparition de l’antimatière. Fabiola Gianotti poursuit:

«Il reste beaucoup de questions ouvertes, par exemple l’asymétrie entre matière et anti-matière, qui ont pourtant été créés en quantité égales pendant le Big Bang. Pourquoi l’anti-matière a-t-elle disparu?»

  • Le neutrino reste mal connu. Laura Baudis, professeur à l’Université de Zurich, rappelle:

«Le neutrino est la seule particule non chargée du modèle standard, ce qui complique son étude: on ne peut pas produire d’anti-neutrino.»

  • L’accélération de l’expansion de l’univers reste inexpliquée. Reynald Pain indique:

«On ne sait toujours pas précisément pourquoi l’expansion de l’univers accélère. Cela pourrait être lié à l’énergie noire, mais on n’en a encore aucune preuve.»

Pourquoi semble-t-on atteindre une limite? Fabiola Gianotti développe:

«On a aujourd’hui observé toutes les particules prévues par le modèle standard. Mais on sait que le modèle standard n’est pas complet, et ne permettait notamment pas de prévoir le fait que le neutrino ait bien une masse… Nous sommes désormais en terrain inconnu.»

Nigel Lockyer, du Fermilab, emboîte le pas:

«D’une certaine façon, depuis que nous avons découvert le boson de Higgs, nous sommes encore plus perplexes qu’avant !»

En quoi la période actuelle est-elle charnière? La directrice du CERN explique:

«Lorsqu’on a construit le LHC, il y a plus de 10 ans, la situation était assez simple: il s’agissait de construire un accélérateur de particule capable de prouver l’existence du boson de Higgs. Aujourd’hui, la situation est beaucoup moins confortable. Nous devons définir de nouvelles questions avant de construire de nouveaux accélérateurs.

D’autant plus que les mesures sont parfois aussi importantes que les nouvelles découvertes. Ce sont les mesures plus précises du rayonnement cosmologiques de fond (ndlr: la première lumière de l’univers) avec le satellite Planck qui ont permis de confirmer de nombreuses hypothèses sur le Big Bang.»

L’heure est-elle à la coopération ou à la compétition internationale?

Fabiola Gianotti:

«Il y a aujourd’hui des accélérateurs de particules dans trois régions du monde: l’Europe, l’Asie et les États-Unis. Cela montre que leur intérêt n’est pas seulement scientifique, mais a aussi à voir avec les retombées pour la société dans son ensemble, notamment via le transfert technologique», par exemple en médecine nucléaire.

La Chine, qui doit commencer au cours des prochaines années la construction de son collisionneur circulaire de positron, peut-elle prendre de l’avance? Les chercheurs présents rappellent que la physique actuelle s’est surtout construite grâce à la coopération internationale, et qu’il devrait en être de même pour les travaux qui seront menés sur la future infrastructure chinoise.