Nous pouvons entendre les gestes, même au téléphone

Même si nous ne voyons pas les gestes, il semblerait que l'on puisse les entendre. | Unsplash/Clem Onojeghuo

Au téléphone, on peut parfaitement se tapoter la tempe de l’index en pleine discussion quand notre interlocuteur déraille, car il ne nous voit pas, n’est-ce pas? Pas si sûr. Car nous pouvons «entendre» les gestes, même si nous ne les voyons pas.

Pourquoi c’est nouveau. Selon des chercheurs des Pays-Bas et des Etats-Unis, qui ont publié une étude dans la revue Pnas, les gestes se transmettent aussi par la voix. Les chercheurs ont demandé aux personnes testées de ne rien changer à leur intonation, tout en bougeant leur poignet ou leur bras. Les auditeurs, qui n'ont entendu qu'un enregistrement du son, ont pu reproduire ces gestes avec une étonnante facilité. Notre voix trahirait-elle nos mouvements?

L’étude. L'équipe menée par le néerlandais Wim Pouw a travaillé sur un rapport geste-langue simplifié: les six personnes testées devaient prononcer un «A» constant, puis déplacer leur bras ou leur poignet à une vitesse donnée, comme si elles marquaient le rythme avec une baguette, et ce, à trois vitesses différentes. Aucun métronome n'était utilisé.

Dans un second temps, 30 auditeurs ont été invités à imiter les gestes en écoutant simplement le son produit. Le succès a été frappant. En effet, les auditeurs ne sont pas contentés de reproduire le mouvement, ils l’ont synchronisé: ils ont battu le même rythme. Cependant, les mouvements des bras étaient imités plus précisément que ceux des poignets.

Le cas des personnes aveugles. Il en est de même pour les personnes malvoyantes interrogées par Higgs. Josef Camenzind, de l'Association suisse pour les aveugles et les malvoyants, affirme entendre quand quelqu'un gesticule. «C'est comme lorsque je pense à une image de la nature quand j'entends le chant des oiseaux», dit-il. La chanteuse d'opéra Christina Lang, presque entièrement aveugle le confirme:

«Quand une personne parle, on peut savoir si elle fait un geste par les variations de sa voix.»

La richesse du langage. Notre langage parlé recèle donc des informations cachées sur nos plus petits mouvements. Les modifications de la voix seraient dues au fait que les gestes entraînent des mouvements inconscients dans les muscles responsables de la parole et de la respiration, supposent les chercheurs de l’étude. Cependant, ce n'est pas encore la preuve que des gestes plus complexes peuvent aussi être transmis.

Les personnes déficientes visuelles peuvent non seulement entendre les gestes, mais aussi les utiliser. Même les personnes aveugles de naissance, qui n’ont jamais pu voir de gestes, s’en servent pour communiquer. Et cela, même si leur auditeur est aveugle lui aussi. Une partie de notre gestuelle est donc probablement innée.

Le monde des gestes. La façon dont une personne utilise les gestes est également liée à sa langue maternelle. Les personnes de langue maternelle anglaise et turque ont des gestuelles différentes, comme l'a découvert en 2009 la psychologue Susan Goldin-Meadow, de l'université de Chicago. Mais peu importe qu'il s'agisse de gestes amples et expansifs ou de mouvements plus subtils de la main: parler sans gestes nous est difficile. Le résultat semble contre nature, plat et sans expression.

En outre, les gestes jouent également un rôle dans l'apprentissage du langage: les enfants qui utilisent davantage de gestes auront plus tard un vocabulaire plus étendu, comme l’a également mis en lumière Susan Goldin-Meadow.

Les gestes ne sont pourtant pas l’équivalent une parole par d’autres moyens: ils sont trop complexes et trop différenciés. Il y a des gestes que tout le monde comprend, comme «manger», les gestes de désignation, comme «là-bas», des gestes symboliques («téléphone»), des gestes qui accompagnent la parole et enfin, toute une série de gestes ont une signification différente en fonction des cultures. Les gestes les plus couramment utilisés représentent des actions que nous avons d'abord dû apprendre, par exemple «déverrouiller».

L’origine des gestes. Depuis 20 ans, la neurologue Hedda Lausberg cherche à savoir comment naissent les gestes. Elle travaille avec des personnes qui ont subi des lésions cérébrales ou chez qui la connexion entre les hémisphères cérébraux a été interrompue chirurgicalement. Cette professeure de l'Université allemande du sport de Cologne s'intéresse à la répartition des tâches dans le cerveau:

  • La parole et la motricité, en simplifiant, prennent naissance dans l'hémisphère gauche du cerveau, qui accomplit principalement des tâches abstraites.

  • L'hémisphère droit du cerveau, en revanche, est muet. Il et responsable des images et des symboles.

  • Mais il existe des chevauchements pour les données qui sont à la fois abstraites et picturales, comme les problèmes de géométrie.

  • Pour rendre le tout encore plus compliqué: les mouvements sont contrôlés dans la direction opposée chez la plupart des gens. Le côté gauche du cerveau contrôle la main droite et vice versa.

  • Enfin la communication entre les zones du cerveau assure la cohérence de l'ensemble.

Hedda Lausberg a découvert que les gestes naissent principalement dans l'hémisphère droit, l’hémisphère muet du cerveau. En d'autres termes, dans un endroit différent de celui où l'on parle.

«Les gestes sont principalement associés aux processus non linguistiques de l'hémisphère droit. Les gestes sont, entre autre, issus des images mentales.»

Ils sont donc différents des mots et expriment probablement d'autres aspects d’un ressenti. Par conséquent, ils peuvent s'écarter d’un énoncé purement linguistique, dit Hedda Lausberg. Et cela même au téléphone.


L’étude à la loupe

L’étude. Acoustic information about upper limb movement in voicing

Le commentaire. Le groupe de personnes testées est relativement restreint, ce qui limite la portée de l'étude. C'est aussi un laboratoire où seuls des sons individuels ont été prononcés, et non pas des phrases ou des dialogues entiers. Il n'est donc pas encore clair de savoir si les gestes de la vie quotidienne sont aussi bien reconnus.

La fiabilité. Evaluation par les pairs, six intervenants et 30 auditeurs hommes et femmes.

Le type d’étude. Expérience en laboratoire.

Le financement. National Research Grant Netherlands, Wim Pouw: Donderst Institute f. Brain, Cognition and Behaviour.

Cet article a initialement été publié en allemand par notre partenaire éditorial Higgs.ch