Mieux que Neuralink: à Lausanne, un patient paralysé remarche par la pensée
L'équipe de neuroscientifiques menée par Jocelyne Bloch et Grégoire Courtine à Lausanne a amélioré son dispositif d'aide à la marche pour les personnes paralysées. Un implant cérébral leur permet désormais de contrôler leurs mouvements par le plus vieux truchement du monde: la pensée...
En 2018, l’équipe de Jocelyne Bloch, neurochirurgienne au CHUV, et de Grégoire Courtine, neuroscientifique à l’EPFL, créait l'exploit en aidant des patients paraplégiques à remarcher à l’aide de stimulations électriques de la moelle épinière. Cette technologie, revue et augmentée à l’aide d’un implant cérébral inédit développé au CEA à Grenoble, vient de passer à la vitesse supérieure. «C’est une véritable avancée technologique», se réjouit Grégoire Courtine.
Du cerveau à la jambe. Les chercheurs présentent aujourd’hui un véritable pont numérique sans fil qui rétablit la connexion entre le cerveau et la moelle épinière. Pour le patient implanté, le gain d’autonomie et de mobilité est considérable: il peut se déplacer seul, et de façon beaucoup plus fluide qu’avec le seul stimulateur, puisqu’il lui suffit de «penser» à marcher pour que son corps suive… presque naturellement. Retour sur un exploit scientifique hors norme, qui fait l’objet d’une publication dans la revue Nature.
Lire aussi: L'actualité vue par le neuroscientifique Grégoire Courtine
Comment ça marche? Chez les personnes paraplégiques, le lien entre le cortex moteur et les fibres nerveuses des jambes a été sectionné au niveau de la moelle épinière.
C’est cette connectivité entre le nouvel implant cérébral et le neurostimulateur déjà implanté depuis 2017 sur la moelle épinière du patient que les chercheurs sont parvenus à rétablir, grâce à un système numérique chargé de décoder les signaux électriques du cerveau et de les convertir en stimulations électriques, qui s’appuie sur des méthodes issues de l’intelligence artificielle.
Une nouvelle chaîne de transmission de l’influx nerveux est ainsi créée:
- L’implant cérébral – baptisé WIMAGINE – développé par le CEA-Leti à Grenoble et Clinatec.
Deux implants sont fixés, de part et d’autre du crâne, pour piloter chacune des jambes. Ceux-ci ne sont pas implantés dans le cerveau, mais sur son enveloppe la plus extérieure, la dure-mère, juste au-dessus du cortex moteur — la partie du cerveau qui pilote les mouvements volontaires.
Concrètement, une petite portion d’os du crâne a été découpée et retirée, puis remplacée par l’implant. Doté de 64 électrodes, l’implant est discret – moins de 12 mm d’épaisseur – et surtout léger, environ 50 grammes. Pour Jocelyne Bloch, l’avantage incomparable du dispositif est qu’il est non invasif:
«Lors de nos travaux de 2016 qui démontraient la preuve de concept chez le singe, on m’avait dit que cette technologie arriverait d’ici quelques années chez l’humain. Mais j’étais sceptique, car je ne me voyais pas implanter des électrodes pénétrantes dans le cerveau humain, et j’avais bien vu, sur la souris ou le singe, qu’on endommageait les tissus en les retirant… C’est alors que nous avons commencé à travailler avec le CEA Grenoble.»
Guillaume Charvet, responsable du programme Brain-Computer Interface (BCI) au CEA, explique que l’implant est invisible, puisque la peau le recouvre. Pas un fil ne dépasse: les informations sont transmises sans fil (par ondes radio) à un casque porté par le patient, qui a deux fonctions:
«D’une part, il permet d’alimenter l’implant en électricité par induction. L’implant n’intègre pas de batterie, ce qui permet d’augmenter sa durée de vie. D’autre part, le casque est muni d’antennes qui permettent de transmettre le signal des électrodes vers un ordinateur intégré au déambulateur, qui est chargé de traduire les intentions de mouvements en séquences électriques.»
Les coups d’annonces d’Elon Musk avec son dispositif implantable Neuralink rythment le monde des neurotechnologies. La technologie présentée ici est bien plus intéressante, insiste Jocelyne Bloch, parce qu’elle est non invasive – là où Elon Musk se base sur une technologie d’électrodes qui doivent pénétrer le cerveau en profondeur.
«Guillaume (Charvet, du CEA, ndlr) est modeste, mais ce dispositif est le premier capteur cérébral sans fil, bien avant Elon Musk», insiste Grégoire Courtine.