Géométrie pour chats. Tout est parti d’un hashtag rapidement devenu viral sur les réseaux sociaux en 2017: #CatSquare, où les internautes étaient invités à matérialiser un carré au sol et à poster l’image de leur animal lorsqu’il s’asseyait dessus. Rapidement, Gabriella Smith, chercheuse en cognition animale, et Sarah-Elizabeth Byosière, qui dirige un centre de recherche en cognition canine au Hunter College de l’Université de la ville de New-York, ont voulu approfondir cet effet et savoir s’il s’appliquait aussi aux illusions d’optique.
Les motifs à contours illusoires — parfois appelés contours subjectifs— créés par le psychologue italien Gaetano Kanizsa représentaient de bons candidats: une étude de 1988 — avec un niveau de preuve assez faible, car menée sur seulement deux chats et dans un contexte de laboratoire où les animaux ont été conditionnés à se comporter d’une certaine façon — suggérait que ces félins étaient bien en mesure de percevoir l’illusion.
Toutefois, les chats ne sont pas sensibles aux mêmes couleurs que les humains. Cela ne pose pas de problème, explique Gabriella Smith à Heidi.news: «Cette illusion se base sur le contraste plutôt que sur la couleur.» Mieux: les félins semblent un bon modèle pour étudier la réponse comportementale à l’illusion de Kanizsa, poursuit la chercheuse:
«La littérature scientifique montre qu’une large gamme d’espèces, comme les chimpanzés, certains requins ou encore les abeilles peuvent être sensibles à des contours illusoires, mais les animaux y sont entraînés à reproduire un comportement qu’ils expriment plus rarement dans la nature. A cet égard, les chats ont déjà cette tendance spontanée à s’assoir dans des boîtes, ils n’avaient donc pas besoin d’entraînement particulier.»
Le mode d’emploi. Restait à répliquer l’expérience de 1988 sur un plus grand nombre d’animaux pour en avoir le cœur net. Il s’agissait aussi de les étudier dans leur environnement domestique plutôt qu’en laboratoire, afin que le design de l’expérience interfère le moins possible avec leur comportement. Gabriella Smith illustre:
«Nous voulions travailler dans un cadre pertinent d’un point de vue écologique, où les chats pouvaient se comporter comme ils le souhaitaient. Mais il y avait aussi un risque, car quiconque connaît bien les chats sait que nous aurions pu finir sans données! Nous avons été chanceux.»
La pandémie de Covid-19 a aussi conduit de nombreux propriétaires de chats au télétravail, avec plus de temps à disposition pour observer leur animal. D’où le recours aux sciences participatives. Les participants devaient imprimer le motif en noir et blanc et soumettre six fois par jour leur chat à un stimulus choisi de façon aléatoire. Si le chat s’asseyait dedans au moins trois secondes en moins de cinq minutes d’observation, l’expérience était considérée comme concluante.
Sur les 500 chats initialement recrutés, 30 ont accompli toutes les étapes du protocole. Au final, autant de chats ont considéré le contour comme une vraie boîte que son illusion.
Le contrôle de l’expérience. Mais ces études participatives se déroulent dans des environnements moins contrôlés qu’un laboratoire: un bon point pour éviter de trop perturber le comportement spontané de l’animal, mais qui entraîne aussi un moindre contrôle scientifique des conditions expérimentales. Comment les chercheuses se sont-elles assurées que les chats ne s’asseyaient pas tout simplement là par hasard?
Gabriella Smith précise:
«Pour cette raison, nous avons demandé aux participants de nous envoyer des vidéos plutôt que des photos. Les vidéos devaient durer cinq minutes sans interruption du chat se comportant normalement. Afin de limiter le biais lié à la présence du propriétaire, celui-ci devait rester silencieux et porter des lunettes de soleil (afin que le chat ne puisse suivre son regard, ndlr).»
La suite. Seuls 30 chats sont arrivés au bout de l’expérience, un échantillon assez faible sur les 500 félins initialement enrôlés. Ces résultats devront donc être reproduits dans un environnement plus contrôlé, reconnaissent les auteurs.
Quant à savoir si la domestication du chat a joué un rôle sur le phénomène, il faudra là aussi répliquer l’expérience chez d’autres félidés, expliquent aussi ces chercheurs. Et aussi sur un autre animal domestique très commun: le chien! Gabriella Smith:
«Les chiens aussi sont sensibles à certains contours subjectifs, mais jusqu’à présent cela n’avait été montré que dans un cadre où l’animal devait reproduire un comportement donné, pas dans un cadre plus libre comme ici. Ce serait une prochaine étape intéressante.»