Un exercice de vulgarisation scientifique que le mathématicien a eu le temps de roder. «Tout a commencé il y a environ deux ans», explique le directeur de recherche au CNRS (France), professeur à l’École normale supérieure de Lyon et membre de l’Académie française des sciences. «Avec la fondation La main à la pâte, nous étions plusieurs chercheurs français à animer des conférences dans des écoles, destinées au jeune public, ici des enfants âgés de 7 à 9 ans. J’ai eu l’idée de préparer mon exposé sur les flocons de neige. Par la suite, j’ai pu répéter cet exercice deux fois, face à des publics différents: des jeunes de 14-15 ans, puis aussi des séniors.» Il a depuis donné de nombreuses conférences publiques sur le sujet (certaines sont disponibles en ligne).
De la petite à la grande Histoire. Les premières représentations des flocons de neige, explique Etienne Ghys, remontent au XVIe siècle.
«Olof Månsson était un religieux suédois. En visite à Rome, il découvre que les gens du Nord y sont considérés comme des barbares! Vexé, il entreprend alors de montrer toute l’étendue de la culture nordique à travers un livre richement illustré, Historia de gentibus septentrionalibus. On y retrouve les premières illustrations à six branches des flocons de neige.»
La prochaine étape sera franchie avec Kepler au début du XVIIe siècle, lequel allait même jusqu’à se demander si les flocons de neige ont une âme! Etienne Ghys poursuit:
«Le 31 décembre 1610, Johannes Kepler cherche une idée de cadeau pour un ami à Prague, avec lequel il fête la Saint Sylvestre. Soudain, il se met à neiger, et un flocon de neige se pose sur ses vêtements. Fasciné par l’observation de sa structure cristalline, il décide d’en faire son cadeau! Mais comme la neige à la mauvaise idée de fondre, il en tirera surtout un livre, intitulé La neige sexangulaire. Ce dernier pose des questions incroyable sur les flocons de neige.»
Par exemple: pourquoi les flocons ont-ils toujours six branches? Pourquoi sont-ils plats et non pas tridimensionnels? Pour y voir plus clair, il faudra attendre près de deux siècle, et plus précisément le XIXe siècle avec le photographe Wilson Bentley.
«Il a été très important, mais il n’a rien d’un scientifique! Cet Américain s’est passionné très jeune pour la neige. Il est parvenu à convaincre ses parents d’acheter un appareil photo, parmi les premiers disponibles commercialement, et y a adapté un microscope. Il a ainsi réalisé les premières photographies de flocons de neige, dans un but exclusivement artistique. Il n’hésitait d’ailleurs pas à les retoucher à l’occasion... Mais c’est grâce à lui que les flocons sont rentrés dans notre culture, et qu’ils sont devenus le symbole de l’hiver, le symbole de Noël.»
La science des flocons. C’est un physicien japonais, Ukichiro Nakaya, né en 1900, qui ira plus loin encore dans l’étude des flocons. Il ira même jusqu’à en produire en laboratoire. Et rapidement, il entreprendra de les catégoriser. Le mathématicien commente:
«C’est ce que font les scientifiques, quand ils ne comprennent pas tout à un phénomène: ils commencent par le ranger.»
C’est ainsi, en produisant des flocons artificiels, que le physicien établira une classification des formes de cristaux en fonction des conditions météorologiques. Il en résultera le diagramme suivant connu sous le nom de diagramme de Nakaya.
Mais pour que se forment ces cristaux, encore faut-il qu’existent quelques impuretés (poussières par exemple), qu’on appelle dans ce contexte «germes»… D’une impureté, surgit alors la pureté cristalline d’un flocon.
Le rôle du hasard. Des nuages jusqu’au sol, chaque flocon de neige a un itinéraire et donc une histoire unique, ce qui explique pourquoi chacun semble différent. Température, humidité; pression, et même champ électrique des zones traversées influenceront leur morphologie finale
Et les mathématiques, dans tout ça? Etienne Ghys conclut, mystérieux:
«Malgré leurs différences, ils sont tous semblables. J’ai une théorie pour expliquer ces similitudes, qui ferait d’ailleurs intervenir des notions que l’on retrouve en théorie du chaos. Mais il me reste désormais à la démontrer! »