Comment réagissez-vous au retrait du projet Venice Time Machine des Archives d’État de Venise?
Frédéric Kaplan C’est une très grosse surprise d’autant que nous n’avions pas encore rencontré le nouveau directeur des Archives d’État de Venise, Gianni Penzo Doria, en place depuis début septembre, à l’exception d’un échange bref par vidéoconférence. Nous sommes étonnés par un procédé passé par la voie d’un communiqué de presse et des réseaux sociaux. Mais ce n’est pas ce qui compte.
Quoi alors?
Ce que contiennent ces 80 kilomètres d’archives couvrant mille ans d’histoire, c’est la clé des futures études sur l’histoire de Venise mais aussi d’autres villes et pays européens, compte tenu du rôle historique de la ville. Cela n’a plus de sens d’étudier l’histoire avec un accès restreint aux documents, nous devons passer à une autre échelle. Et nous en avons la possibilité avec de nouvelles technologies qui font émerger de nouvelles connaissances en traitant beaucoup d’informations dont les liens nous échappent encore.
Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de base légale plus solide pour ce projet?
L’ancien directeur des Archives d’État, Raffaele Santoro, nous soutenait et le Memorandum of Understanding passé en 2014 était très clair, en particulier sur la question de la liberté d’accès aux données. Nous avons pu numériser plus de 200’000 documents, développer des outils d’intelligence artificielle pour lire les documents manuscrits, créer de nouveaux moteurs de recherche… Et tous les documents ont ensuite été reversés aux archives. A chaque fois, notre collaboration était de facto reconduite comme en témoigne les nombreuses déclarations de la direction d’alors à ce sujet.
Qu’est-ce qui ne va plus aujourd’hui?
Il y avait une communauté de vue avec l’ancien directeur sur la nécessité fondamentale de rendre ces archives accessibles au plus grand nombre. En 2017, nous avons livré une première série de résultats qui ont été accompagnés de déclarations très positives par l’ancienne direction. Depuis son départ à la retraite, deux directions se sont succédé. Nos discussions avec la première, en partie sur la question de l’accès aux images, allaient dans le sens que celles-ci doivent être accessibles pour tous. Il apparaît aujourd’hui que pour des contraintes que nous ignorons, cette question de la liberté d’accès aux données ne va plus de soi.
Du coup, quelle est votre position ?
Cela renforce notre conviction que l’enjeu essentiel c’est celui du partage de ces données. Non seulement dans le cas de Venise mais aussi dans celui des autres villes européennes engagées dans des projets de Time Machines.
Certes, mais la question de cet accès libre peut aussi se heurter à celle de droits d’auteurs, de licences ?
On ne parle pas ici d’œuvres d’art ou de livres protégés par des droits d’auteur. Il s’agit de documents publics tels que les cadastres ou des registres de naissance ou fiscaux. En interdire l’accès, ce serait fermer les portes aux connaissances que la numérisation de ces informations permet de générer.
Le problème peut-il provenir du financement du projet ?
En ce qui concerne la recherche, les choses sont très claires. Il y a différents soutiens obtenus de manière compétitive auprès du Fonds National en Suisse et de l’Union Européenne. A côté de cela, il y a des fonds venus de la philanthropie. Jusqu’ici, cela se passait très bien, avec même des gens passés par la Venice Time Machine qui ont ensuite été intégrés aux Archives d’État de Venise. Par contre, naturellement, il n’est pas possible que des fonds publics suisses puissent sponsoriser un établissement italien.
Qu’allez-vous faire ?
Nous espérons qu’il ne s’agit que d’un malentendu que nous allons éclaircir par le dialogue.