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Le concept d'empreinte carbone est largement reconnu comme un indicateur de durabilité environnementale décisif pour quantifier la performance environnementale des produits, des entreprises ou des pays. L'absence d'un tel indicateur dans l'industrie spatiale a incité un consortium international et transdisciplinaire à concevoir, développer et gérer le Space Sustainability Rating (SSR).
Comment évaluer la durabilité spatiale?
Le SSR a d'abord été proposé par le Forum économique mondial et soutenu dans sa conception par le Space Enabled Research Group du MIT, l'Agence spatiale européenne, l'Université du Texas à Austin et BryceTech. En 2021, le centre spatial de l'EPFL (eSpace) a été choisi pour accueillir et gérer le SSR. Le système d'évaluation s'inspire de l'adoption réussie de tels systèmes d'évaluation dans d'autres secteurs, comme la certification LEED (Leadership in Energy and Environmental Design) dans le secteur de la construction et des bâtiments écologiques. Conçu comme un indicateur composite, le SSR offre une définition globale de la conception et des pratiques durables à toutes les étapes du cycle de vie d'une mission, de la conception aux opérations en orbite jusqu’à l'élimination des déchets.
Dans leur propre intérêt, les opérateurs ont déjà adopté des mesures durables, comme en témoignent les récentes démonstrations de services d'enlèvement actif des débris (ADR) commercialement viables, l'augmentation des investissements dans la maintenance en orbite et les missions qui prévoient une conception entièrement démontable et une élimination dans les cinq ans. Les agences nationales font, elles aussi, leur part de mesures de durabilité. La France a fait le premier pas en 2008 avec une loi sur les opérations spatiales, qui intègre des directives sur la réduction des débris spatiaux. Elle impose des contraintes de conception strictes pour les lancements depuis la Guyane française, avec l'obligation pour les engins spatiaux d’être désorbités après le lancement.
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À mesure que les nations spatiales émergentes développent leurs cadres réglementaires, elles cherchent des moyens d'intégrer des mesures de durabilité pour respecter leurs obligations nationales au titre des traités spatiaux des Nations unies. Malgré ces efforts, la définition de ce qui serait une approche durable dans l'espace n'est pas universelle, et il est difficile de quantifier, de mesurer et de vérifier le respect de ces directives.
Le SSR vise à combler cette lacune en fournissant un cadre clair aux opérateurs sur la manière de mesurer la durabilité de leurs missions. La clé du SSR, c’est qu'il s’appuie sur des modèles déjà publiés par des agences et des instituts universitaires, et qui permettent de quantifier et de mesurer les décisions prises par les opérateurs en matière de durabilité sans divulguer d'informations exclusives sur la mission.
Inciter aux bonnes pratiques
La Satellite Industry Association et la Commission fédérale des communications des États-Unis soutiennent, elles aussi, la mise en place de systèmes d'évaluation afin de reconnaître les acteurs qui démontrent leur engagement envers la durabilité à long terme de l'environnement spatial et réduction des débris spatiaux. En fonction de leur notation, les acteurs pourraient un jour être récompensés par des incitations financières et économiques. Celles-ci pourraient avoir un impact sur les primes d'assurance des opérateurs de satellites, réduisant potentiellement les coûts, et conduisant à une perception plus positive des clients et du public, agissant comme un avantage concurrentiel et offrant un plus grand prestige.
De telles évaluations sont déjà à l’œuvre dans d'autres industries, dans le marketing et les rapports d'entreprise de type ESG (environnemental, social et gouvernance). Elles visent à mettre en valeur les changements d'attitude à l'égard de l'évaluation de la conformité, en soulignant les bons comportements plutôt que de faire honte aux mauvais.
La «RSE de l’espace» en pratique
S'adressant au Financial Times en 2021, Stijn Lemmens, analyste en réduction des débris spatiaux à l'ESA, remarquait: «Si vous étiez un opérateur en orbite terrestre basse il y a cinq ans, vous vous souciiez surtout d'éviter les débris. Aujourd'hui, vous devez aussi vous soucier d'éviter les autres opérateurs.»
En travaillant étroitement avec les acteurs spatiaux ayant choisi de tester le SSR, il est évident que ces derniers sont préoccupés par l'utilisation à long terme de l'environnement spatial et par les risques et les défis posés par les débris spatiaux et par l'augmentation du trafic spatial. La phase d’essai pour le développement du SSR a été menée en 2021 afin d’étalonner et d’ajuster l’outil avant son lancement officiel et de s'engager avec les opérateurs et les fabricants pour l’améliorer.
Plusieurs entreprises, dont Airbus, Astroscale, AXA XL, Elseco, Lockheed Martin, Planet, SpaceX et Voyager Space Holdings, ont activement soutenu le développement du SSR, ont participé aux tests et ont exprimé leur intérêt pour y participer après son lancement public.
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D'après les premières évaluations qui ont été examinées pendant la phase de test bêta, eSpace a constaté que les acteurs de l'espace appréciaient le retour d'information sur leurs missions respectives. Ils ont également apprécié la façon dont la méthodologie de notation prenait en compte les différents éléments de durabilité de leurs missions. En outre, à l’image de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) dont font preuve les sociétés d'autres secteurs, le SSR est une plateforme permettant aux acteurs du secteur spatial de montrer leur engagement et leurs actions en faveur de la durabilité à long terme dans les missions actuelles et futures. Dans le cas des start-ups, le fait d'avoir une évaluation SSR est un moyen de montrer leur engagement en faveur de la durabilité. Les premières indications se sont révélées avantageuses pour les investisseurs des start-ups.
Certains acteurs de l'espace ont exprimé des inquiétudes quant à la possibilité d'afficher une note élevée s'ils sont les seuls à «se comporter durablement», ce qui pourrait entraîner une perte d'avantage concurrentiel. Mais plus ces décisions sont prises tôt dans la conception d'une mission, moins elles auront d'impact sur le coût global.
Par exemple, l'«indice de mission» de l'ESA est un élément clé de la note SSR, qui estime le risque de collision ou de création de débris en fonction du profil orbital d'une mission. Il utilise la formulation ECOB (Environmental Consequences of Orbital Breakups).
Une autre partie du SSR note les missions spatiales en fonction du niveau de difficulté à détecter, identifier et suivre le vaisseau spatial, en s'appuyant sur les travaux menés par les membres de l'équipe de l'Université du Texas et du MIT.
La contribution des acteurs du secteur spatial a permis de s'assurer que ces approches analytiques pouvaient être appliquées à diverses missions.
Un mètre-étalon pour la durabilité spatiale
La croissance économique du secteur spatial va de pair avec la nécessité de maintenir un environnement spatial durable et sûr, permettant une utilisation juste et équitable pour les activités spatiales. Les systèmes d'évaluation servent d'étalon pour mesurer la conception et les actions en matière de durabilité. Ils visent à reconnaître, récompenser et inciter les acteurs à poursuivre la durabilité à long terme, ainsi qu'à soutenir la mise à jour continue des lignes directrices et des normes de comportement en matière de durabilité. eSpace a traversé une phase de transition avec le consortium SSR et a repris la propriété et la gestion du SSR en 2021. Le lancement officiel a eu lieu lors du 4e sommet sur la durabilité de l'espace, qui s’est tenu à Londres les 22 et 23 juin.
Article mis à jour le 30 juin 2022. Une précédente version de l’article qualifiait, dans sa traduction, le SSR de certification, alors qu’il s’agit d’un système de notation