Les déchets nucléaires, c’est le principal problème de cette source d’énergie. Quid de la sûreté et de l’approvisionnement en uranium, allez-vous me dire? Le nombre de victimes liées au nucléaire civil est très disputé et difficile à établir avec certitude, à Tchernobyl comme à Fukushima. Surtout, ces accidents ont haussé les standards à des niveaux tellement élevés que cela a conduit à la fermeture de la centrale suisse de Mülheberg. Pas parce que c’était dangereux, mais parce que la mise aux normes était trop chère.
En France, 56 réacteurs cumulent 2500 ans d’expérience sans accident, me fait remarquer un expert. Très bien. Mais 50 ans justement, ce n’est pas un peu vieux pour une technologie? Pas moyen de faire mieux aujourd’hui, y compris en matière de sûreté? Si. Transmutex n’utilise justement pas de réaction en chaîne mais une technologie d’accélérateur de particules mise au point au CERN, qui agit comme un commutateur on-off instantané en cas de pépin.
La question de l’approvisionnement en uranium est plus «tricky». Je ne sais pas si vous le savez mais l’importation d’uranium enrichi en Russie (50% de la production mondiale) n’est pas dans le périmètre des sanctions prises contre Moscou (la guerre en Ukraine fait aussi partie de l’équation, on va y revenir). Cela dit, on n’a pas forcément besoin d’uranium. Transmutex utilise justement du thorium, beaucoup plus abondant.
A l’Est, du tout nouveau
Quoi qu’il en soit, les défauts identifiés du nucléaire n’empêchent plus sa renaissance, en particulier en Europe de l’Est. Pas forcément une mauvaise idée, puisque la production électrique se fait là-bas surtout à partir de charbon – jusqu’à 70% en Pologne. Et que les idées de sobriété énergétique ont un peu de mal à s’imposer dans des populations qui gardent en mémoire la sobriété à la sauce soviétique.
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A l’Ouest, les perspectives de crise énergétique, de dépendance au gaz russe et autres hydrocarbures importés ont aussi fait bouger les lignes. Sans surprise, la France envisage six nouveaux réacteurs. Les Pays-Bas ont annoncé la construction de deux centrales. La Belgique a fermé un réacteur ce mois tout en annonçant qu’elle repoussait de dix ans sa date butoir pour sept autres, de 2025 à 2035. La Suède vient de modifier sa loi pour faciliter la construction de nouvelle centrale.
Et la Suisse, qui a voté en 2017 la sortie du nucléaire? Elle a, sans le dire, rouvert le dossier.
Le débat ravivé en Suisse
Je m’en suis aperçu en discutant avec la conseillère nationale zurichoise Barbara Schaffner (Vert'libéraux). Docteure en physique de l’EPFZ, Madame Schaffner sait de quoi elle parle. Elle est naturellement en faveur d’un déploiement accéléré des renouvelables en Suisse. Le groupe Alpiq vient d’annoncer un milliard d’investissements, dont la moitié pour des parcs solaires dans les Alpes et des parcs d’éoliennes dans le nord vaudois. On verra ce qu’il en sera des oppositions.
Quoi qu’il en soit, Barbara Schaffner m'oriente vers une initiative dont je n’avais pas entendu parler: «Stop au Blackout». Elle n’a de populaire que le qualificatif et émane du Club Energie Suisse. Le texte esquive les références explicites au nucléaire mais appelle à ce que toutes les filières de production électrique respectueuses du climat soient prises en compte. Au vu du profil des membres de son comité, comme l’entrepreneur Daniel Aerteger ayant pris fait et cause pour que l’Union Européenne considère le nucléaire comme favorable au climat, il n’y a guère de doute sur l’objectif.
Comme il s’agirait tout de même de modifier la Constitution, Barbara Schaffner a pris les devants en demandant au Parlement si une modification de la loi serait nécessaire afin de construire un nouveau réacteur – pas commercial, mais expérimental. La réponse est non, et vous voyez sans doute où je veux en venir.
Pourquoi le petit nucléaire s’emballe en Europe?
Certains écologistes demandent l’arrêt des dernières centrales suisses dès 2027, mais rien n’y oblige. Elles sont censées fonctionner tant qu’elles sont sûres. Si l’autorité de sûreté nucléaire suisse juge que c’est le cas, elles pourraient être prolongées. Jusqu'en 2040-2050 pour Gösgen et Leibstadt, qui fournissent quelque 20% de l’électricité du pays. Cela donne du temps pour vérifier l’intérêt d’une technologie comme celle de Transmutex.
D'ici là, on aura peut-être couvert les toitures du pays de panneaux solaires, planté des milliers d’éoliennes et résolu les problèmes de stockage pour la nuit, l’hiver et les jours sans vent, afin de pouvoir à la fois se passer du nucléaire et faire face à l’augmentation de la demande liée à la mobilité et au chauffage électrique. Mais pourquoi se priver d’investiguer une technologie née au CERN à Genève et qui a l’insigne potentiel de nous débarrasser une fois pour toutes des déchets de longue vie dont personne ne veut (surtout si c’est sous son jardin)?
Un nouveau consensus
Pour rendre fissile le thorium, la technologie de Transmutex utilise en effet un apport en métaux lourds ultra critiques comme le plutonium ou l’américium, des déchets hautement toxiques et de très longue vie qu’on prévoit d'enfouir pour des milliers d’années. Ce faisant, elle en diminue la radioactivité (on parle de transmutation) pour les rendre recyclables plutôt qu’enfouissables.
Même s’il y a de bonnes raisons de le penser, il n’est bien sûr pas absolument garanti que la technologie de Transmutex fonctionne, en particulier du point de vue économique. Mais n’est-ce pas précisément ce genre de risque que doit prendre la recherche, en menant des expériences?
Pour y parvenir, il faudra trouver un nouveau consensus. Les pro-nucléaire devront mettre de l’eau dans leur vin en admettant qu’enfouir des déchets dangereux pour 100'000 ans quand la mémoire technique s’efface généralement en 500 ans n’est pas le meilleur cadeau pour les générations à venir. Les anti-atome devront aussi admettre qu’on ne parle plus d’une technologie élaborée il y a plus de 60 ans, mais d’innovations radicalement différentes. Impossible?