Face au coronavirus, l'effort international inédit pour trouver un vaccin en moins de 18 mois

Un laboratoire d'immunologie travaillant sur un vaccin contre Covid-19 au Brésil | SEBASTIAO MOREIRA/EFE/KEYSTONE

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La recherche d’un vaccin contre le Sars-Cov-2 va bon train. Conséquence directe du nombre de pays touchés par la pandémie, la démarche est inédite par sa rapidité et le nombre d’acteurs institutionnels et industriels mobilisés au plan international. Plus d’une quarantaine de vaccins candidats sont actuellement en lice dont au moins trois sont entrés dans la première phase d’essais cliniques. L’objectif:  obtenir un vaccin en quelques mois, là où les derniers vaccins développés ont pris au mieux plusieurs années.

Pourquoi c’est essentiel. En permettant une immunisation de masse de la population n’ayant pas encore été exposée au virus (et donc, n’ayant pas développé d’anticorps face au Sars-CoV-2), la vaccination serait notre meilleur espoir, non seulement pour contrer la pandémie, mais surtout pour empêcher toute résurgence future du virus. Le tout serait de vacciner une part suffisamment importante de la population pour développer une immunité de groupe à même de protéger les personnes fragiles. Mais d’ici là, la route est encore longue, et les inconnues nombreuses.

La rapidité de la réponse internationale. Le caractère pandémique de la maladie appelait une réponse extraordinaire. Dans un éditorial publié par la revue américaine Science ainsi que dans une visioconférence organisée par TED, Seth Berkley, directeur de l’organisation pour le développement des vaccins Gavi, basée à Genève, expliquait:

«La recherche sur Covid-19 ressemble beaucoup plus au projet Manhattan que les autres projets de ‘big science’ impliquant la recherche internationale. Pas seulement par ses implications scientifiques et par les enjeux d’échelle, mais parce qu’il s’agit d’un enjeu de sécurité globale. Dans la course pour développer un vaccin contre le Sars-CoV-2, tout le monde doit gagner.

Nous devons nous assurer que les pays plus riches ne feront pas de rétention, et que qu’ils seront délivrés par ordre de priorité: aux soignants, aux personnes à risques, puis à toute la population. C’est aussi pour cela que la production devrait être assurée de façon simultanée dans plusieurs pays.»

Cela est rendu possible par plusieurs organisations. Au-delà de l’OMS, plusieurs organisations participent à coordonner cet effort à travers la distribution de financements. Non seulement GAVI, mais également le Cepi (Coalition for Epidemic Preparadness Innovations), une ONG basée à Oslo. Richard Hatchett, CEO du CEPI, a ainsi déclaré:

«Il ne faut pas se faire d’illusion: développer un vaccin est difficile. C’est une chose complexe est coûteuse, mais le Cepi a été justement mis en place pour surmonter ce type de défis et pour rapidement développer des vaccins face à des menaces infectieuses émergentes, comme le Covid-19. Il n’y a pas de garanties que l’on réussisse, mais l’on y travaille, et si tout se passe bien, l’espoir existe qu’un vaccin sûr soit disponible pour les personnes les plus à risque au cours des 12 à 18 prochains mois.»

Le développement typique d’un vaccin prend jusqu’à 10 ou 15 ans, c’est dire si l’objectif est ambitieux. Le Professeur Giuseppe Pantaleo, chef de la division d’immunologie et d’allergie du CHUV à Lausanne, commente:

«On assiste actuellement à une accélération inédite, je ne serais pas surpris que d’ici à cet été on ait identifié une piste efficace. Mais cela ne veut pas dire qu’on aura un vaccin dans six mois! Les études permettant de s’assurer de l’efficacité du vaccin chez l’homme prennent plusieurs mois, et reste le principal problème ensuite, c’est-à-dire mettre en œuvre des moyens de production à large échelle pour rendre le vaccin accessible.»

Les vaccins candidats. Mi-janvier, des scientifiques chinois identifient et partagent avec la communauté internationale la séquence complète du génome du nouveau coronavirus, inconnu jusqu’alors. Des données précieuses pour la recherche, en particulier celle d’un vaccin. Au 20 mars, l’OMS listait 42 candidats. Dans une conférence virtuelle donnée le 27 mars, le directeur de l’organisation dédiée à la vaccination Gavi avançait le chiffre d’au moins 44 vaccins en cours de développement, ayant au moins débuté des essais précliniques.

Au moins trois sont déjà entrés en essais cliniques de phase I, et administrés à l’humain pour en évaluer l’efficacité. Il s’agit du vaccin à ARN messager de la firme américaine Moderna), du vaccin à ADN d’Inovio (également américaine), et enfin du vaccin à vecteur viral Ad5-nCov développé en Chine par CanSinoBiological et l’Institut de biotechnologies de Pékin.

Le professeur Giuseppe Pantaleo explique le ‘cahier des charges’ du vaccin:

«Tout l’enjeu est de faire produire à l’organisme des anticorps capables de bloquer l’infection. Dans le cas du Sars-Cov-2, on sait qu’il se fixe à l’enzyme ACE2, notamment exprimé par les cellules épithéliales, par exemple dans la bouche ou les poumons. Le virus produit des protéines, appelées ‘Spike’, qui se lient avec cette enzyme pour attaquer les cellules. Un vaccin doit donc permettre de développer des anticorps capables de bloquer ces protéines. Une piste est donc de construire l’immunité en présentant ces protéines aux cellules.

Heureusement, la recherche d’un vaccin contre Covid-19 ne part pas de zéro. Il existe déjà des plateaux techniques qui ont été développés pour d’autres maladies émergentes et qui peuvent être rapidement adaptés pour mener des recherches sur le nouveau coronavirus.»

Sur la quarantaine de vaccins candidats envisagés, le professeur détaille les quatre stratégies principales.

  1. Les vaccins à ARN messager. L’ARN messager est un type de support du code génétique, exprimé pour coder des protéines. Dans cette approche, on injecte l’ARN messager correspondant à la protéine virale souhaitée dans les cellules, pour qu’elles la produisent et que ces antigènes stimulent la production des anticorps capables de les bloquer. C’est à cette catégorie qu’appartient le vaccin américain développé par Moderna, dont le conseiller à la santé à la Maison blanche Anthony Fauci dit qu’il s’agit d’un véritable «game changer». C’est aussi le cas de celui de la société allemande CureVac, qui a reçu un financement de 7,5 millions d’euros (environ 8,3 millions de francs) de l’Alliance internationale pour les vaccins CEPI, qui espère débuter ses essais cliniques d’ici l’été. Cette approche novatrice a déjà été explorée pour plusieurs maladies émergentes, sans jusqu’alors aboutir à un vaccin exploitable.

  2. Les vaccins à ADN. La différence est que l’on utilise cette fois-ci non de l’ARN messager, mais un brin d’ADN, qui sera traduit en ARNm puis en protéine par la cellule elle-même. C’est l’approche notamment développée par la société américaine Inovio, qui a récemment reçu une dotation de 12 millions de dollars du département de la défense des Etats-Unis ainsi qu’une bourse de 5 millions de la fondation Bill & Melinda Gates. C’est aussi le cas du vaccin développé par Johnson & Johnson. Déjà utilisés en santé animale, leur développement n’a jusque là jamais abouti chez l’homme.

  3. Les vaccins directement basés sur des protéines. L’approche est notamment expérimentée par l’Université de Queensland en Australie «C’est d’autant plus prometteur qu’ils utilisent une technologie permettant de maintenir la protéine dans la bonne configuration même une fois qu’elle a été injectée», précise le Pr Pantaleo. «Ce n’est pas le cas pour cet essai australien, mais on pourrait même imaginer rendre cette approche plus efficace grâce à des nanoparticules, qui permettent de présenter l’antigène de manière analogue au virus, en couronne sur une petite sphère de nanoparticule.»

  4. Les vaccins à vecteur viral. On utilise ici un virus désactivé comme vecteur, là aussi, du matériel génétique codant une protéine qui permettra au corps de construire une réponse immunitaire. «Le vecteur du virus de la rougeole est bien connu, et très efficace», précise Giuseppe Pantaleo. C’est l’approche développée par l’Institut Pasteur, en partenariat avec l’entreprise Themis et l’Université de Pittsburgh. De son côté, l’Institut technologique de Pékin, avec la firme CanSino Biological, travaille sur un vaccin de ce type, avec pour vecteur un adénovirus (un des virus du rhume banal)

Une conception accélérée des essais cliniques. Reste aussi à accélérer le déroulement classique des essais cliniques. Dans la même webconférence pour TED, Seth Berkley précisait:

«Ce n’est pas le moment de faire comme d’habitude: d’où viennent les bonnes idées n’a pas d’importance, il faut les mettre sur la table et les comparer. Une conception adaptative des essais cliniques (adaptative trial design) doit ici primer.»

De façon classique, on distingue :

  • Les essais précliniques, qui visent à s’assurer de sa sécurité d’emploi chez l’homme avant tout administration.

  • Les essais de phase I, qui visent à administrer la molécule sur un nombre réduit de patients pour s’assurer qu’elle est bien tolérée et qu’elle montre les propriétés souhaitées.

  • Les essais de phase II, qui doivent montrer à quelle dose l’on obtient l’effet souhaité.

  • Les essais de phase III, qui doivent vérifier l’efficacité et la sécurité d’emploi à plus large échelle sur plusieurs milliers de patients, afin de permettre sa mise sur le marché.

  • Enfin, il existe aussi des essais de phase IV réalisés après la commercialisation du produit pour vérifier qu’aucun effet indésirable rare mais grave ne survienne chez les patients (on parle alors de pharmacovigilance).

Les essais cliniques adaptatifs ont vocation à accélérer le processus de la phase I à la mise sur le marché, grâce à une adaptation du protocole à mesure que les résultats commencent à émerger. Avec un protocole adaptatif, il devient possible d’interrompre rapidement l’évaluation d’un vaccin potentiel s’il s’avère qu’il n’est pas efficace, ou a contrario d’inclure aisément un nouveau candidat qui ferait son apparition en cours de route.

Mais même ainsi, la route reste longue. Seth Berkley précisait: «Il faudra également savoir s’il faut ou non développer un adjuvant pour stimuler la réponse immunitaire. Et surtout, il faut que ce vaccin soit réellement testé sur un échantillon représentatif de la population, dans toutes les classes d’âge, afin de s’assurer qu’il est efficace pour tous.»

Les questions en suspens. Même si cela semble être le cas chez des singes, utilisés comme modèle animal pour comprendre le virus, aucune étude scientifique n’a encore validé de façon définitive que le fait d’avoir contracté la maladie, et a fortiori d’avoir été vacciné, n’empêche effectivement de contracter de nouveau Covid-19 après-coup, ni la durée de l’immunité conférée. Pour l’heure, on peut supposer que l’immunité que confère la maladie pourrait se prolonger de 1 à 3 ans comme pour les coronavirus bénins du rhume, ou de 8 à 10 ans comme cela a été observé pour le Sras de 2002-2003. Les tests sérologiques, en cours de déploiement dans plusieurs pays, dont la Suisse, devraient en partie aider à répondre à cette question.

Le pari sur l’avenir. L’on peut se demander dans quelle mesure cet effort risque d’être rendu caduque par les mutations du virus au cours des prochains mois. Celles-ci semblent heureusement trop lentes pour présenter tout risque de modifier la fonction de la fameuse protéine S. Sur Twitter, l’épidémiologiste britannique Trevor Bedford, qui a co-développé la plate-forme Nextstrain, utilisée pour suivre l’évolution des différentes souches de Sars-Cov-2, livre une explication rassurante :

«Cela prendra plusieurs années pour que le virus mute suffisamment pour limiter l’intérêt de la vaccination. Dans le cas de la grippe porcine, il a fallu trois ans pour que l’on observe un glissement»