Les acteurs de la science. Les principales institutions scientifiques suisses ont donné de la voix pour condamner une initiative jugée «extrême» – le mot est revenu à plusieurs reprises, dans la bouche de plusieurs interlocuteurs. Parmi elles:
Le Fonds national suisse (FNS), principal pourvoyeur de fonds publics pour la recherche
Les quatre Académies suisses des sciences
Swissuniversities, qui représente les universités, EPF, et hautes écoles pédagogiques, ainsi que le Conseil des EPF
Unimedsuisse, qui regroupe les cinq hôpitaux universitaires du pays
Jeune Académie Suisse, qui représente les jeunes chercheurs
«Il n’est pas banal que l’ensemble des institutions présentes prennent la parole pour s’exprimer sur une initiative populaire», a tenu à insister Yves Flückiger, recteur de l’Université de Genève et président de Swissuniversities.
Un rappel. L’initiative populaire «Oui à l'interdiction de l’expérimentation animale et humaine», en votation le 13 février 2022, vise à interdire toute expérimentation sur les animaux et les humains en Suisse, considérée comme un «mauvais traitement» pouvant être «constituti[f] d’un crime».
Plusieurs dispositions précisent ce principe général:
Seule exception prévue: si l’expérimentation est «dans l’intérêt global et prépondérant du sujet (animal ou humain) concerné».
Il serait interdit de mettre sur le marché, utiliser ou importer tout produit ayant, «directement ou indirectement», un lien avec l’expérimentation animale
Le texte prévoit enfin que les méthodes substitutives bénéficient «d’aides publiques au moins équivalentes à celles dont bénéficiaient auparavant l’expérimentation animale».
Les arguments du «non». Yves Flückiger dénonce «des conséquences extrêmes pour la santé humaine et animale, pour la recherche, le savoir et l’innovation». Les représentants des institutions scientifiques du pays ont balayé plusieurs arguments contre l’initiative:
L’insuffisance des méthodes de substitutions (tissus et organoïdes, modélisation informatique, méthodes physico-chimique…) à remplacer totalement l’animal, malgré une diminution continue du nombre d’animaux utilisés ces dernières années.
L’impossibilité de recourir à tout nouveau traitement ayant recours à l’expérimentation animale ou humaine – c’est le cas de toute médication mise sur le marché, pour des raisons de sécurité, y compris des vaccins comme ceux contre la grippe ou Covid-19.
Le coup porté à l’innovation thérapeutique et à la recherche en Suisse, dans un domaine très dynamique. «La Suisse serait l’unique pays du monde avec cette interdiction, et les recherches seraient délocalisées vers les pays avec une législation moins extrême», s’inquiète Yves Flückiger.
L’affaiblissement des soins dispensés en Suisse, avec à la clé un recul de la «qualité et de la sécurité» des soins, précise Bertrand Levrat, directeur des HUG et président d’Unimedsuisse.
Le développement d’une médecine à deux vitesses, au regard de l’exception que constituerait la Suisse: «Les gens avec des moyens financiers iraient se faire soigner en France, en Allemagne, aux Etats», prédit Betrand Levrat.
La stigmatisation et la criminalisation des chercheurs et institutions scientifiques ayant recours à l’expérimentation, Yves Flückiger allant jusqu’à évoquer une «initiative malveillante».