Xavier Warot – Cela correspond à une volonté de transparence de la part de l’EPFL sur les activités d’expérimentation animale. On réalise que c’est un sujet qui, pour la société, pose de nombreuses questions et aussi qu’il y a une large méconnaissance de la façon dont ça se pratique tous les jours. Donc on veut raconter la façon dont cela se passe chez nous.
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Cette volonté de transparence se double d’une certaine prudence, par exemple sur le fait que l’emplacement de l’animalerie ne doit pas être diffusé. Que craignez-vous?
On n’est pas à l’abri qu’il y ait des activités de militants qui viendraient sur le campus. En Angleterre, dans les années 1980, il y a eu des actions violentes sur des scientifiques, avec même des bombes posées dans des voitures. (Sous l’égide de groupes militants radicaux comme le Front de libération animale et l’Animal Rights Militia, ndlr.) C’est suite à ces événements que l’Angleterre a opté pour une politique de transparence et nous sommes dans la même démarche, mais en restant précautionneux pour éviter de mettre en danger les personnes qui font de la recherche avec des animaux.
«Phénogénomique», on pourrait imaginer un nom plus parlant pour désigner l’expérimentation animale. Pourquoi ce choix?
On étudie les relations entre le patrimoine génétique et la manière dont il s’exprime, le phénotype. Et, finalement, on cherche à comprendre comment la génétique et le comportement sont liés. La grande majorité des expériences faites ici sont liées à cette dimension, et on travaille beaucoup avec des modèles génétiquement modifiés. Par exemple, on a des chercheurs qui s’intéressent à des voies de signalisation sur le cancer, un groupe qui cherche à comprendre les mécanismes liés au choc post-traumatique et les modifications dans le cerveau, et tout cela chez la souris.
Accueillez-vous des tests précliniques pour le compte de l’industrie pharmaceutique?
Non, on ne fait pas de telles recherches ici, nous ne sommes pas certifiés pour le faire. On fait surtout de la recherche fondamentale.
Quels animaux sont employés à des fins d’expérimentation, ici au centre?
Le centre gère des rongeurs de laboratoire, c’est-à-dire souris et rats, des poissons de laboratoire (poisson-zèbres), et on a aussi des têtards de crapaud. On gère tous les animaux qui font l’objet d’expérimentation et sont protégés par la loi, laquelle protège les vertébrés et quelques invertébrés, comme les pieuvres et les homards. Il y a d’autres modèles d’animaux qui sont utilisés, comme les mouches ou les vers nématodes, mais l’enjeu est différent et ils ne sont pas concernés par l’Ordonnance sur la protection des animaux.
A l’échelle suisse, le nombre d’animaux sacrifiés à des fins d’expérimentation animale tend à stagner. Qu’en est-il à l’EPFL?
Ici, on utilise environ 22’000 animaux par an. Cela peut paraître beaucoup mais pour une institution de la taille de l’EPFL, c’est en réalité assez raisonnable. Et c’est un chiffre plutôt en diminution. L’expérimentation animale n’est pas un sujet de recherche en soi, mais une manière de modéliser un problème pour répondre à des questions biologiques. Aujourd’hui, si les professeurs de l’EPFL ont une question, ils vont utiliser des modèles computationnels, de l’in vitro – cellules ou bactéries, et ça peut aller jusqu’à l’organoïde – puis, à un moment donné, ils passent au modèle animal, puis rebasculent vers les autres modèles. C’est un va-et-vient permanent.
Par exemple sur le cancer, si on cherche à comprendre les métastases, c’est une migration de cellules donc on doit forcément travailler sur un organisme entier, on ne sait pas faire autrement. Mais on peut commencer à travailler sur un prélèvement de tissu cancéreux chez le patient, utiliser des cellules in vitro pour formuler des hypothèses sur la capacité des cellules à devenir métastatique, et c’est quand on voudra confirmer l’hypothèse qu’on la valide chez la souris.
Notre discussion se tient bien sûr dans le contexte de l’initiative sur l’interdiction de l’expérimentation animale, objet de la votation du 13 février. Quel regard portez-vous à ce sujet?
Aujourd’hui, il est très difficile de se passer d’expérimentation animale en médecine. C’est un débat très émotionnel et qui va un peu plus loin que l’expérimentation animale, l’initiative voulant aussi interdire l’expérimentation humaine, ce qui aurait un impact sur l’acquisition des connaissances scientifiques. Le cadre éthique actuel est principalement utilitariste et l’initiative se place dans une approche visant à considérer l’expérimentation animale comme un crime. Cela pose la question de notre rapport collectif à l’animal.
De ce point de vue, c’est une bonne chose?
Oui, c’est toujours bien de discuter, mais il faut savoir ce qu’on veut en tant que société. Si on veut des médicaments sûrs, être soigné rapidement, il faut se mettre d’accord sur les conditions pour atteindre ce but. Historiquement, l’expérimentation animale s’est développée dans la foulée de la Seconde Guerre mondiale, après les expérimentations inadmissibles ayant eu lieu dans les camps de concentration. La réponse a été d’encadrer l’expérimentation humaine et on a posé comme principe qu’on se donnait le droit d’utiliser les animaux pour limiter le risque pour l’homme, tout en développant de nouveaux traitements et interventions.
Le texte de cette initiative fait l’unanimité contre lui au sein des élites scientifiques, politiques, économiques. Mais sur le fond, n’y a-t-il pas des marges d’amélioration possibles?
En Suisse, on a déjà un système bien cadré d’un point de vue légal et réglementaire. Après, on peut toujours améliorer la mise en application de la loi, avec de nouvelles techniques. Par exemple sur la manipulation des rongeurs, on sait aujourd’hui que pour avoir un meilleur résultat scientifique, si on fait de la manipulation douce («gentle handling»), on n’altère pas la qualité des résultats, voire on l’améliore, on diminue le stress et améliore le bien-être des animaux. La pratique d’animalerie est un processus d’amélioration continue.
Pour effectuer une expérimentation animale, il faut l’autorisation des services vétérinaires et de la commission cantonale. Les protecteurs des animaux disent que ce sont des commissions alibis. Effectivement, très peu d’expériences sont refusées. Par contre, en 13 ans à l’EPFL, j’ai vu les choses évoluer. La commission ne donne pas un blanc-seing, souvent elle revient vers le chercheur en questionnant le nombre d’animaux utilisés, les méthodes employées. Et de plus en plus souvent on demande au chercheur de faire une expérience pilote qui servira à décider si l’on continue ou pas. Les expérimentations qui sont acceptées ne le sont pas sans interrogations ni adaptations.
Y a-t-il un enjeu de budget sur le développement des méthodes de substitution?
Oui, il y a un enjeu de financement pour développer les méthodes 3R, et il y a d’ailleurs une proposition au Parlement pour augmenter ce budget. Le centre fédéral de compétences 3R a été créé en 2018, et cette année le programme national de recherche sur les 3R a été lancé (à hauteur de 20 millions de francs sur cinq ans, ndlr.). Après, on oppose souvent les méthodes alternatives et l’expérimentation animale, mais la réalité c’est que chaque domaine ou sous-domaine de recherche doit investir pour trouver ses propres méthodes alternatives.
Ça a été fait sur la physiologie pulmonaire, on est désormais capable de répondre avec des approches sans animaux à des questions très précises. Mais il faudrait le faire dans chaque domaine, c’est un travail énorme qui engage la recherche dans son ensemble.
Un autre aspect de la question concerne les contrôles vétérinaires. Vous êtes inspectés souvent?
Aujourd’hui, les autorités vétérinaires cantonales viennent nous inspecter à peu près une fois par mois et inspectent soit la tenue de l’animalerie, soit la manière dont sont menées certaines expériences. L’immense majorité des inspections ne sont pas annoncées, les seules exceptions étant quand l’autorité veut assister au déroulement d’une expérience précise. Ils vérifient les animaux, la conformité des registres et, s’il y a des discordances ou irrégularités constatées, l’autorité agit en conséquence et nous transmet un rapport (non public, ndlr.).
Les institutions marchent un peu sur des œufs mais à titre personnel vous êtes très favorable à la transparence.
Je pense que pour construire la confiance avec le public, il faut y tendre. On ne va pas tout dévoiler du jour au lendemain mais on n’a pas intérêt à cacher des choses, la confiance vient quand on est entièrement transparent, pas à moitié. Mon rêve ce serait qu’on puisse organiser des visites d’animalerie tout public, cela s’est fait aux Pays-Bas par exemple, à l’université de Nimègue. On a ouvert nos animaleries en interne au personnel de l’EPFL, et c’était déjà un grand pas. On a commencé aussi les visites avec les étudiants, et pas uniquement en sciences de la vie. C’est nouveau, c’est aussi un changement culturel, et on y travaille.
Il y a une vraie question de société sur notre rapport à l’animal, qu’on le veuille ou non. On peut faire l’autruche et continuer à l’ignorer, mais dans une institution comme l’EPFL, on est sur fonds fédéraux, on œuvre pour la société, donc on doit pouvoir apporter notre contribution en matière d’information. On n’a pas envie de chercher les ennuis mais la société nous demande des comptes et c’est légitime. Cela permet aussi de répondre à une forme de défiance vis-à-vis de la science. Longtemps, certains scientifiques pratiquant l’expérimentation animale étaient dans leur tour d’ivoire. Mais la confiance s’est érodée, et il est temps d’informer et de s’ouvrir à l’échange.