L’étude. Réalisés sous mandat institutionnel, ces travaux reflètent la vision officielle américaine sur ces questions. Certains facteurs favorisant la radicalisation sont déjà connus: l'isolement social, les expériences traumatisantes, l'abus de drogues ou d'alcool ou l'absence de structures familiales rendent les gens plus sensibles aux contenus extrêmes.
Dans ce cadre, les chercheurs ont étudié les biographies de 24 anciens racistes et huit anciens islamistes aux États-Unis. Ils se sont également entretenus avec 24 personnes radicalisées, dix membres de la famille d’une personne radicalisée, et enfin deux amis de personnes radicalisées.
Sur ces personnes ayant fait l’expérience de la radicalisation, sept n’ont pas pu être interrogées, car elles étaient décédées, en prison ou indisponibles pour d’autres raisons. Ces personnes avaient auparavant fait partie de groupes comme Al-Qaïda et l’Etat islamique, mais aussi le Ku Klux Klan ou encore des groupes néonazis et suprématistes convaincus de la supériorité de la race blanche.
Les origines psychologiques. Au cours des entretiens avec les ex-radicalisés, les chercheurs ont découvert que certaines circonstances de vie avaient favorisé la bascule: des problèmes financiers ou psychologiques, ou encore un sentiment d’exclusion, par exemple.
Dans plus de la moitié des cas, la radicalisation était consécutive à une expérience de vie dramatique.
Cela pouvait être, chez les personnes par la suite devenues racistes, un refus de l’armée, le suicide d’un proche ou encore une période de chômage longue durée.
Chez les personnes ayant basculé vers l’islamisme radical, il s’agissait d’expériences d’humiliation, de dénonciation pour possession d’armes, de sanction par sa famille pour un comportement en désaccord avec la foi, ou encore d’une tentative de suicide.
Toutes ces personnes ont éprouvé, à la suite de tels événements, le besoin de prendre un nouveau départ et de se réorienter. Elles ont alors commencé à consommer la propagande des organisations extrémistes. Pour les organisations racistes, la musique joue ainsi un rôle majeur dans la radicalisation.
Les participants à l’étude racontent avoir recherché volontairement le contact avec les organisations. En effet, seulement sept des personnes radicalisées ont été recrutées: elles y sont pour la plupart allées d’elles-mêmes.
L’expérience de la radicalisation. Dans ces groupes, les participants à l’étude disent avoir trouvé de l’amitié, du soutien, et dans certains cas, un sentiment de pouvoir. Une personne interviewée raconte: «les gens changent de trottoir quand ils te voient (par peur, ndlr)… C’est un sentiment puissant.» D’autres racontent leur investissement dans leur «mission»:
«Même si la moitié de la race blanche ne sait pas ce que tu fais, dans ta tête, tu es en train de la sauver. Tu es comme Superman, tu fais quelque chose de grand et de noble.»
Les souvenirs d’un ancien islamiste sont proches: «Nous nous sentions spéciaux. Nous nous sentions du bon côté. Tout était soit noir, soit blanc.»
Pour certains, il était important de s’affirmer et de créer une nouvelle identité dans ce nouveau groupe. Un de ces repentis raconte:
«Dans le monde réel, je n’étais qu’un alcoolique renvoyé de l’école, je vendais de la drogue pour payer mes factures et étais retourné habiter chez ma mère. J’étais du genre à boire jusqu’à m’évanouir et me faire dessus. Et là, tout à coup, je devenais une légende.»
Les portes de sortie. Sur les 32 personnes étudiées, 26 ont fini par quitter le groupe extrémiste. Les six personnes restantes étaient soit décédées, soit introuvables. Comme pour la radicalisation, la déradicalisation ne semble pas non plus suivre une voie toute tracée.
D’après l’étude, il existe une série de facteurs dits «push and pull», qui facilitent ou freinent la sortie. Ceux qui finissent par décrocher sont souvent poussés par un sentiment de désillusion, d’épuisement professionnel ou bien par des difficultés à conserver leur travail. Au contraire, ce qui les freine, c'est la perte d’un cadre social.
15 des 32 personnes radicalisées étaient, après un certain temps, en proie à des désillusions. Un ancien suprémaciste explique:
«Nous étions en train de manifester contre les migrants illégaux qui amènent des drogues dans notre pays, – et en même temps, je consommais des drogues illégales. Et tous les autres consommaient aussi des drogues illégales. […] Cela m’a semblé de plus en plus hypocrite et au bout d’environ un an, tout cela n’avait plus aucun sens pour moi.»
D’autres se sont épuisés au contact de la haine intense exprimée dans le groupe, comme en témoigne un autre participant:
«Cette manière de vivre était complètement épuisante pour moi. C’est seulement lorsque j’ai décroché que j’ai pu recommencer à respirer. L’ennemi n’était plus tapi partout autour de moi. Quand tu vis dans cet état d’esprit, avec cette mentalité sectaire, chaque personne est un ennemi, ou un suspect.»
Vingt-deux personnes radicalisées ont quitté leur groupe avec l’aide d’une personne extérieure ou – pour près de la moitié – grâce à l’aide d’institutions. Pour la moitié des 32 cas étudiés, des tentatives avaient précédemment échoué. Selon l’étude, les mesures répressives ne conduisent généralement qu’à augmenter la radicalisation.
Lorsque la déradicalisation fonctionne, elle est soutenue par des personnes qui, par exemple, donnent accès aux radicalisés à un environnement culturel différent, les aident à atteindre une stabilité familiale ou financière ou qui leur apportent un soutien émotionnel. Cela peut être des membres de leur famille, des enfants ou des amis, mais aussi des nouvelles connaissances, des journalistes, des thérapeutes ou des personnes ayant une autorité religieuse. En ce qui concerne les groupes d’extrême-droite, d’autres personnes ayant quitté le groupe ont également joué un rôle dans six des cas. Certains décrochent aussi à cause d’expériences négatives au sein de ces groupes radicaux.
La prévention. Les chercheurs ont demandé aux anciens radicalisés leurs conseils pour prévenir la radicalisation. La plupart d’entre eux ont relevé l’importance de l’enfance et de la jeunesse, ont parlé d’apprentissage multiculturel et de structures sociales comme les clubs de sport. Ils ont également avancé que la marginalisation de certaines classes sociales devait être mieux étudiée et l'accès à l'aide psychologique facilité.
Il n’existe pas de recette miracle pour la déradicalisation. Depuis des années, on connaît l’hypothèse qui voudrait que le contact direct avec ces groupes puisse aider. Mais ce n’est pas toujours le cas, en tout cas à court terme. Parfois, ce contact n’a pas d’effets immédiats, mais porte ses fruits seulement des années plus tard. Un ancien raciste a raconté aux chercheurs son expérience avec un caissier noir. En voyant son tatouage raciste sur l’avant-bras, le caissier lui avait dit: «Ce n’est pas toi, ce truc, j’en suis sûr. Tu vaux mieux que ça.» Le participant à l’étude se souvient:
«J’ai rempli mes sacs aussi vite que j’ai pu, j’ai couru hors du magasin et suis rentrée me saouler chez moi en vitesse. Puis je suis sorti me battre pour mettre de l’espace entre moi et ce qui venait de se passer, entre moi et ce moment où on m’avait témoigné de la gentillesse. C’était pendant mon premier mois avec la droite radicale. Il m’a fallu attendre sept ans pour que ces paroles portent leurs fruits.»
L'étude à la loupe
L’étude. Violent Extremism in America
Le commentaire. L'échantillon est de taille réduite, les personnes radicalisées interrogées ont toutes stoppé leurs activités et aucun entretien n'a été mené avec celles qui ont continué à se radicaliser. En outre, les entretiens n'étaient pas structurés de manière uniforme, mais étaient adaptés aux expériences des personnes interrogées. Les résultats ne peuvent donc pas être généralisés, mais donnent par contre un aperçu détaillé des cas individuels.
La fiabilité. Vingt-quatre anciens extrémistes, dix membres de la famille et deux amis d'extrémistes proches d'organisations pour sortir de la radicalité ont été interrogés, pour un total de 32 cas.
Le type d’étude. Etude qualitative observationnelle.
Le financement. National Institute of Justice (Etats-Unis).
Traduit et adapté de l’allemand par Dorothée Fraleux et Sarah Sermondadaz