Au CERN, des lunettes pour voir à travers les murs

Le logiciel développé par l'université de Genève permet de visualiser les réseaux enterrés | CERN/UNIGE

Des lunettes de réalité augmentée pour localiser l’emplacement et la profondeur des infrastructures enterrées, sans devoir creuser. C’est l’enjeu d’un projet du CERN, mené avec d’autres institutions genevoises.

Pourquoi c’est utile. Le dispositif, basé sur des lunettes holographiques HoloLens (Microsoft), permet de superposer à l’environnement architectural les réseaux en 3D (électricité, téléphone, chauffage urbain, gaz, fibre optique, eau…). De quoi gagner un temps précieux, en limitant les mesures parfois fastidieuses à réaliser par les géomètres sur le terrain.

Loin des yeux, on ne songe guère que sous nos pieds se trouve souvent un enchevêtrement de câbles et de tuyaux. La problématique revêt une importance particulière pour le CERN, dont les infrastructures comportent par exemple 400 km de câbles électriques et 135 km de fibre optique enterrés!

Quels sont les défis? Avec le soutien financier d’InnoSuisse, l’Organisation européenne de recherche nucléaire a lancé un projet avec l’Université de Genève (UNIGE) et les Services industriels de Genève (SIG); ces derniers ont expérimenté le dispositif sur leurs propres infrastructures en 2018.

Lancé en 2017, le projet doit prendre fin courant mai 2019. Des essais additionnels sont encore en cours au CERN, et devront lui permettre de décider – ou non – d’utiliser l’outil de façon opérationnelle. Le projet comporte plusieurs défis techniques :

  • Numériser les réseaux enterrés, avant de refermer les tranchées creusées. “Nous souhaitions utiliser le système holographique embarqué par HoloLens, qui permet de modéliser l’environnement en temps réel, mais la précision n’était pas satisfaisante”, dit Youri Robert, ingénieur géomètre au CERN, ayant supervisé le projet. “Nous avons opté pour une caméra 3D longue distance externe. La marge d’erreur est au maximum de 7 cm (par rapport aux données fournies par un GPS centimétrique), ce qui reste acceptable pour des conduites enterrées”.

  • Visualiser le réseau enterré en superposition avec la réalité. Reste à restituer cette information à une personne munie des lunettes qui interviendrait plus tard sur ces mêmes réseaux. C’est là que le logiciel “Cadastra AR”, développé par l’Unige, intervient. Il transforme les données captées par la caméra en modèles 3D enrichis par les données du cadastre, qui viennent se superposer à l’environnement sous forme d’hologramme sur les lunettes de réalité augmentée.

  • Garantir la qualité des données. “Aujourd’hui, près de 60 % de nos données réseau mentionnent l’altitude des installations”, constate Youri Robert. La caméra permettra de continuer les relevés 3D tout en en captant des images des nouvelles infrastructures installées. De quoi enrichir les données historiques du cadastre.

  • Former les agents. Il faut que les personnes amenées à utiliser la caméra 3D pour numériser la scène sachent l’utiliser. “Avant de refermer la tranchée, il reste à traiter le film pour reconstituer le modèle 3D, ce qui ne peut se faire sur site au vu de la puissance de calcul requise”, précise le chef de projet 3DCity. “Mais les futurs réseaux 5 G devraient nous aider à accélérer l’envoi des fichiers. “

Quels sont les avantages? Pourquoi recourir à des lunettes holographiques pour la réalité augmentée, plutôt qu’à une simple surimpression sur tablette ou smartphone? Réponse de Vedran Vlajki, chef du projet à l’Unige:

“Cela permet de tracer un marquage au sol pour restituer ce qui est vu à l’écran. Il suffit d’initialiser le logiciel en recherchant dans l’environnement trois points connus dans le système d’information du cadastre. Le système ajuste alors son repère pour qu’il coïncide avec la réalité.”

À la clé, un système plus fiable, plus rapide, mais surtout moins dangereux pour les personnes devant intervenir sur les chantiers:

  • Améliorer la sécurité du personnel. “La caméra stéréographique que nous utilisons pour numériser l’environnement peut théoriquement fonctionner à des distances atteignant les 20 m”, ajoute Vedran Vlajki. “Lorsque les fouilles sont profondes, cela évite de devoir envoyer quelqu’un au fond pour réaliser les mesures : il suffit d’utiliser la caméra.”

  • Gagner du temps. Si l’on examine cette approche au CERN et aux SIG, c’est qu’elle s’avère à la fois plus précise et plus rapide que les méthodes traditionnelles. “Un relevé traditionnel et son traitement prennent de 30 à 70 minutes. Un processus qui ne dure plus que de 22 à 40 minutes, selon les évaluations des SIG“, poursuit Vedran Vlajki.

Quels développements? “Nous espérons créer une structure commerciale pour mettre la solution sur le marché”, se réjouit Vedran Vlajki.

Quelles autres applications? Dans les domaines de l’énergie, des télécoms, ainsi que la santé, notamment dans les hôpitaux, amenés à gérer de multiples réseaux (notamment d’azote et d’oxygène).