Tedros Ghebreyesus a également prévenu les dirigeants du monde que les manœuvres politiques sur fond de pandémie revenaient à «jouer avec le feu»:
«N’utilisez pas le virus en vue de nourrir des affrontements, ou comme une opportunité pour marquer des points au plan politique. C’est dangereux.»
Et le directeur général de l’OMS d’ajouter:
«Il s’agit d’une tragédie, qui affecte déjà beaucoup de familles. Donc nous ne cachons pas d’informations. Parce que je sais ce que signifie la pauvreté, la guerre, les maladies mortelles… C’est un démon que chacun devrait combattre, et pour cela nous avons besoin d’une solidarité mondiale, sur fond d’unité nationale.»
Tedros Ghebreyesus a ajouté que les experts en santé publique demeuraient confrontés au défi du manque de connaissances sur le virus et que cet élément avait contribué à ralentir la réponse globale. «C’est un virus que beaucoup de gens ne comprennent toujours pas. Bien des pays pourtant très développés en ont tiré de mauvaises conclusions, par manque de connaissances, et se sont trouvés dans des situations difficiles.»
L’OMS dispose de deux envoyés permanents des Etats-Unis intégrés à ses opérations, a complété le Dr Mike Ryan, responsable des programmes d’urgence à l’OMS, ainsi que 15 experts américains ayant apporté leur contribution depuis que la crise de Covid-19 a éclaté. «Depuis les premiers jours des opérations, les officiels du gouvernement américain apportent une contribution majeure», a-t-il indiqué.
En parallèle de ces contacts scientifiques, Mike Ryan a précisé que tous les pays du G7 disposaient de systèmes de surveillance à base d’intelligence artificielle, capables de repérer les signaux liés à l’émergence de nouvelles menaces sanitaires.
La semaine mouvementée de l’OMS. Dr Tedros (comme il est surnommé) s’est exprimé après un week-end turbulent, qui a vu tout à la fois les Etats-Unis continuer à s’attaquer à l’organisation après avoir annoncé leur volonté de suspendre ses financements, et des signes de soutien fort s’exprimer, avec notamment la contribution d’urgence de 500 millions de dollars annoncée par l’Arabie saoudite.
La main des Etats-Unis s’est faite sentir dans la déclaration a minima des pays-membres du G20, réunis dimanche 20 avril. La déclaration de soutien à l’organisation sous le feu des critiques s’est muée, dans le très laconique communiqué de presse final, en une vague référence aux «vulnérabilités dans la capacité de la communauté globale à prévenir et répondre aux menaces pandémiques», sans mention de l’OMS. Une conférence de presse initialement prévue à l’issue de la réunion virtuelle a été précipitamment annulée par le ministre de la santé saoudien Tawfiq Al-Rabiah, qui présidait le cénacle.
Dans son adresse aux dirigeants du G20, Tedros Ghebreyesus a insisté sur l’importance pour les pays industrialisés d’assouplir leurs mesures de confinement, tout en continuant à financer et produire les équipements médicaux nécessaires à une réponse globale. Alors même que le nombre de nouveaux cas se stabilise dans beaucoup de pays développés, le directeur général de l’OMS note que l’épidémie progresse dans un grand nombre de pays aux systèmes de santé plus fragiles.
«Nous souhaitons que les pays du G20 continuent à soutenir la réponse globale à Covid-19», a-t-il ainsi déclaré. «Nous nous faisons l’écho de l’appel du président [sud-africain] Ramaphosa, pour le compte de l’Union africaine, afin que le G20 soutienne les pays africains à l’aide de plans de relance et d’allègements de dette et leur permette de se concentrer sur la lutte contre la pandémie.»
«Nous en appelons à tous les pays du G20, pour qu’ils travaillent ensemble à accroître leur production et la distribution équitable de biens essentiels, et lèvent les barrières commerciales qui mettent les professionnels de santé et leurs patients à risque.»
La réponse de l’OMS sur Taiwan. La conférence de presse du lundi 20 avril a aussi été l’occasion pour Tedros Ghebreyesus de mettre les pendules à l’heure concernant un élément clé des accusations américaines: l’e-mail envoyé le 31 décembre par le Center for Disease Control (CDC) de Taiwan à l’OMS, que les autorités taïwanaises et les Etats-Unis disent avoir été ignoré.
Bien que Taïwan affirme que le message en question suggérait l’existence d’une transmission interhumaine du virus, il ne s’agissait pas de la première alerte en la matière, ni d’une mention explicite d’une telle possibilité. Et il s’agit d’un seul e-mail sur les douzaines envoyés à l’OMS par des pays en quête de clarifications sur la propagation du virus.
Tedros Ghebreyesus:
«Ce qui doit être bien clair, c’est que le premier e-mail [d’alerte concernant le nouveau coronavirus] ne provenait pas de Taïwan. Le compte-rendu initial provenait de Wuhan et de la Chine elle-même – c’est le fait prédominant. (…) L’e-mail envoyé par Taïwan, comme par d’autres entités, avait vocation à demander une clarification, et ne faisait pas état d’une transmission interhumaine.
Nous n’avons donc pas reçu de compte-rendu de l’existence d’une transmission interhumaine de la part de Taïwan le 31 décembre. Nous avons toute la documentation, et les emails reçus de Taïwan… comme par les autres entités, concernaient une demande de clarification. Rien de plus.»
Le 11 avril dernier, le ministère des Affaires étrangères du gouvernement de Taïwan a retweeté une partie du message envoyé le 31 décembre à l’OMS. Extrait (traduit de l’anglais):
«De nouvelles ressources indiquent aujourd’hui qu’au moins sept cas de pneumonie atypique ont été rapportés à Wuhan, en Chine. Leurs autorités de santé ont répondu aux médias qu’ils ne pensaient pas qu’il s’agisse du Sras [syndrome respiratoire aigu sévère, ndlr]. Pourtant, les échantillons sont toujours en cours d’examen et un cas a été isolé en vue de recevoir un traitement. Nous vous serions très reconnaissant de bien partager avec nous d’éventuelles informations pertinentes dont vous disposeriez»
Dans un e-mail de suivi envoyé aux médias le 13 avril, Chenwei Ku, assistante directrice de la mission taiwanaise à Genève, a précisé que si le message ne faisait pas de référence explicite à une transmission interhumaine, les mots «isolé en vue de recevoir un traitement» («isolated for treatment», dans le texte), suggéraient un tel risque.
Chenwei Ku:
«Des professionnels de santé publique sont capables de déceler, à travers cette formulation, qu’il existe une possibilité réelle de transmission interhumaine de la maladie. Cependant, comme à l’époque il n’y avait pas encore de cas de maladie à Taïwan, nous ne pouvions pas affirmer de façon directe et définitive l’existence d’une transmission inter-humaine.»
Cet article, initialement diffusé sur Geneva Solutions*, est signé Elaine Ruth Fletcher et a été traduit de l’anglais par Yvan Pandelé. Une version plus complète est disponible (en anglais) sur le site* Health Policy Watch, dédié aux problématiques de santé globale.