Traverser l’Atlantique après un cancer du sein pour tenir le cap et laisser le traumatisme derrière soi

Heidi.news est partenaire média de l'aventure r’Ose Transat. Nous allons suivre l’équipage durant les 21 jours que durera la transat. Les six navigatrices touchées par le cancer du sein prendront la plume durant la traversée. Aujourd'hui, la première chronique par Elisabeth Thorens-Gaud.

Lettre de Santa Cruz Lundi 4 Novembre 2019, quelques heures avant de lever l’ancre, dont vous pouvez découvrir les derniers préparatifs dans notre Journal de bord.

Je me suis lancée dans un nouveau projet. C’est plus fort que moi. Cette fois, c’est la traversée de l’Atlantique avec un équipage féminin, des femmes toutes concernées de près ou de loin par le cancer du sein. Pour tenir le cap après la maladie. Une façon d’allier ma passion de la voile et de l’écriture, qui me permettra aussi de mettre des mots sur cette épreuve, qui est heureusement aujourd’hui derrière moi. C’était en 2016. Un traumatisme qui laisse des traces et qui a été mon déclic.

Il y a toujours un cadeau caché «dans les emmerdes». Le cadeau ici? C’est que, depuis ce cancer, j’ai encore un appétit plus grand pour la vie. Surtout, j’ai décidé de réaliser mon rêve – une réaction assez classique quand on a échappé au pire semble-t-il – me lancer dans cette traversée de l’Atlantique à la voile. En effet, beaucoup de personnes se lancent dans un défi pour prendre du recul ou tenir la mort à distance, même si c’est vain puisque nous allons tous y passer un jour, qu’on le veuille ou non.

En ce qui me concerne, ce qui a encore décuplé mon envie de naviguer, outre ma peur de la récidive et toutes les petites misères liées à mon traitement, c’est de voir quatre de mes ami·e·s mourir d’un cancer l’année suivant ma propre maladie. Après ces événements traumatisants, j’ai eu envie de reprendre mon destin en main.

A travers ces chroniques, je souhaite partager quelques instants de notre vie à bord, ainsi qu’un peu de notre vécu autour de l’après-cancer, pour mettre en lumière les difficultés que rencontrent les femmes après un cancer du sein et lever un tabou autour de cette période méconnue et dont on ne parle pas assez.

Nous avons certes la chance de vivre dans un pays où la prévention et les soins liés au cancer du sein sont parmi les meilleurs au monde. Rien à dire de ce côté-là. C’est top.

Je serai éternellement reconnaissante envers mes médecins et mes thérapeutes qui m’ont soignée efficacement en sortant toute l’artillerie qu’ils et qu’elles avaient à disposition pour tuer les cellules cancéreuses qui se baladaient dans mon corps. Sans compter que j’ai rencontré des professionnels attentifs et humains. La preuve, c’est que ma docteure, Carine Clément Wiig, a même accepté de monter à bord.

Mon amie tanzanienne Fatima qui souffrait d’une leucémie n’a pas eu cette chance. Elle a quitté ce monde l’hiver dernier par faute de soins appropriés dans son pays. Nous ne sommes pas toutes égales face aux traitements disponibles.

Quand on m’a annoncé, peu après mes traitements que j’étais «vraisemblablement guérie», je ne pensais pas que le plus dur restait à venir. Je ne pensais pas que la période de l’après-cancer serait autant galère pour moi.

Je tiens à préciser quand même que j’ai eu la chance de ne pas avoir à subir une chimiothérapie. Je pense que si cela avait été le cas, je tiendrais un tout autre discours, car ce traitement vous met une femme au tapis sans compter qu’il met aussi à mal sa féminité.

Comme beaucoup d’autre femmes, j’ai vécu et je vis encore cette période de l’après-cancer un peu comme: «débrouillez-vous les filles».

Les médecins et les soignants ont fait leur job, ils nous ont sauvé la vie. Notre cas réglé, ils sont désormais occupés à essayer de sauver d’autres vies. Quant à nos familles et nos proches, ils n’ont plus envie d’entendre parler de cette foutue maladie qui leur fiche la trouille. Pour eux, ouf, vous êtes vivantes et ouf, ils peuvent tourner la page. Mais nous, on ne peut pas la tourner, même si on aimerait bien pouvoir le faire.

Un proche, médecin, m’avait pourtant avertie: «tu es probablement guérie – on ne vous dira jamais que vous êtes guérie après un cancer – mais tu vas devoir gérer la peur des contrôles et la peur d’une récidive.» Sur le moment, je n’avais pas trop prêté attention à ses propos, trop occupée à devoir gérer mon traitement de radiothérapie.

Aujourd’hui, je sais qu’il avait raison. Je n’aime pas aller chez le médecin. J’angoisse avant chaque contrôle, particulièrement avant une mammographie. Outre ce sentiment d’incertitude que je dois apprivoiser et accepter, je dois encore m’habituer à supporter les effets secondaires très pénibles de l’hormonothérapie – un traitement qui prévient les récidives et que l’on doit prendre pendant cinq à dix ans après la maladie quand on a eu un cancer hormon-dépendant et qui provoque des douleurs musculaires et articulaires notamment.

Curieuse de savoir comment les autres femmes vivaient l’après-cancer, j’ai demandé à mes compagnes d’aventure comment elles avaient vécu cette période.

Ainsi, au fil des miles marins, qu’on soit au sommet ou au creux de la vague, à travers notre journal de bord, nous vous apporterons nos témoignages. Nous vous parlerons de nos difficultés à vivre avec des cicatrices, de cette fatigue qui suit les traitements, de la vie de couple et de la vie sexuelle après un cancer du sein, de la peur de la récidive, des difficultés personnelles que la maladie peut révéler, de la prise en charge des patientes opérées d’un cancer du sein. Chacune racontera un peu son histoire. Car chaque vécu est différent.

Nous espérons ainsi que nos histoires permettront un peu de libérer la parole.

Mais je tiens d’ores et déjà à vous rassurer, nos récits raconteront aussi notre vie à bord. Laquelle sera joyeuse.

Avant de vous quitter j’aimerais encore partager avec vous les petits cailloux de cette période post-cancer qui parsèment mon quotidien quand je suis à terre:

  • rassurer mes amis quand je décèle de la peur dans leur regard à l’évocation du mot «cancer»

  • sourire à ces mêmes amis quand ils me disent «tu as une mine radieuse» alors que l’angoisse d’une récidive me broie le ventre parce qu’une amie vient de mourir d’un cancer du sein

  • rester zen quand une amie «bienveillante» essaie de me culpabiliser en m’expliquant que si je suis tombée malade, c’est un peu de ma faute, car je n’ai pas suivi le bon régime alimentaire et que – selon elle – je n’ai pas su gérer mon stress

  • passer 1a journée entière à essayer de trouver le soutien-gorge miracle ergonomique sans armature métallique qui n’appuiera pas sur ma cicatrice et qui ne grattera pas ma peau irritée par la radiothérapie

  • me sentir comme une adolescente pré-pubère quand une vendeuse, en fin de journée après cette quête impossible de soutien-gorge, me propose une jolie «brassière en coton»

  • tester tous les déodorants sans aluminium disponibles sur le marché pour découvrir finalement qu’ils irritent ma peau et décider de m’en passer puis sentir mauvais au travail parce que je n’ai pas mis de déodorant

  • sur les conseils d’une amie, mettre du bicarbonate de soude – cette substance qu’on ajoute parfois dans la fondue au fromage pour mieux la digérer – pour ne plus sentir mauvais sous les aisselles, puis cesser son utilisation pour ne pas développer une irritation en assumant le risque de sentir mauvais au travail

  • essayer de ne plus consommer de sucre car tout le monde dit que c’est poison et que cela favorise le cancer et finalement craquer chaque jour pour du chocolat tout en culpabilisant car je ne peux pas vivre sans sucre

  • faire des séances de méditation pleine conscience, puis de sophrologie, puis de réflexologie, puis d’acupuncture puis réaliser que cela ne coupe pas mes angoisses

  • décider finalement de monter le projet r’Ose Transat pour naviguer, écrire et partager une aventure humaine avec des gens que j’aime et réaliser que r’Ose Transat, c’est ma thérapie.