Taxer les péchés. Bien des acteurs de la santé publique prônent ainsi l’introduction de «sin-taxes» (littéralement des «taxes sur les péchés») pour renchérir les denrées qui augmentent le risque de développer une maladie chronique. L’effet d’une telle taxe peut être plus ou moins marqué.
Aux Etats-Unis, une augmentation de 1% du prix des boissons sucrées entraîne une baisse des ventes de 0,75%. Cette élasticité de la demande est moindre pour le tabac et l’alcool (0,5% de baisse des ventes) et négligeable pour le sel et le café (moins de 0,25%). Si les «sin-taxes» peuvent être efficace pour certains produits, elles sont peu efficientes, car elles touchent tous les consommateurs, y compris ceux et celles qui consomment avec modération.
En Suisse, de telles «sin-taxes» sont déjà en place sur les paquets de cigarettes et des initiatives parlementaires sont régulièrement lancées pour taxer le sucre, les produits alcoolisés et les matières grasses.
Or, si de nombreux politiciens ont déjà flirté avec l’idée d’introduire de tels freins à la consommation, peu d’entre eux sont conscients que la production et la promotion de produits potentiellement à risque sont subventionnées à hauteur de plusieurs millions de francs par an.
Soutenir quelle agriculture? Ces subventions, présentées comme un soutien à l’agriculture, profitent souvent et surtout aux acteurs du complexe agro-industriel tels que les fabriques de sucre affiné, de boissons sucrées (boissons de table, energy drinks) et d’aliments préparés (soupes, frites, chips, biscuits, etc.), ainsi qu’aux géants de la distribution. Bref, quand on parle d’introduire des «taxes sur les péchés», c’est un peu comme si la main gauche, l’Office fédéral de la santé publique, prônait l’abstinence, tandis que la main droite, l’Office fédéral de l’agriculture, faisait la promotion de la consommation du fruit défendu.
Ainsi, les producteurs de sucre bénéficient depuis 2019 d’une subvention de 2100 francs par hectare, un montant égalé par aucun autre type de plantations en Suisse et deux fois plus élevé que celui d’autres produits particulièrement bien dotés, comme le soja notamment. Les subventions à la betterave sucrière représentaient 33 millions de francs à la charge du contribuable en 2018.
Idem pour l’alcool: la Confédération verse onze millions de francs par an (2018) pour les surfaces viticoles en pente, auxquels s’ajoutent trois millions de francs par an pour la promotion des vins suisse. Mais ce n’est pas tout. Paroxysme d’une politique clientéliste, la Confédération a répondu positivement en 2019 à une demande de la branche pour soutenir 50% des coûts d’un nouveau programme de promotion, en plus des mesures susmentionnées. La justification? Ces deux dernières années, la production viticole a été particulièrement forte, alors que la consommation de vin est en recul. C’est un peu comme si la compagnie d’aviation Swiss, suite à une baisse du nombre de passagers liée à «l’effet Greta Thunberg» demandait aux contribuables de participer à une campagne publicitaire faisant la promotion des vols intercontinentaux.
Même topo pour la consommation de matières grasses et de produits oléagineux. La production d’huile de colza, de tournesol et de soja est soutenue à hauteur de 21 millions de francs par an et celle de fromage à hauteur de 263 millions. A ce soutien à la production s’ajoutent des subsides pour la promotion des ventes: 22 millions de francs pour le fromage, 5 millions pour la viande, un demi-million pour les huiles, pour ne citer que quelques exemples.
Enfin, comble de l’incohérence: la production de tabac en Suisse jouit d’une subvention de 14 millions de francs par an, financée par une taxe prélevée sur chaque paquet de cigarettes. Les fumeurs paient donc de leur propre poche une subvention qui devrait réduire le prix du tabac qu’ils achètent. Même Kafka n’aurait pas osé imaginer une réglementation plus absurde.
Ainsi, plutôt que d’envisager des taxes supplémentaires qui feraient passer les familles de consommateurs une deuxième fois à la caisse – puisque ce sont surtout leurs impôts qui financent les subventions citées – il serait plus cohérent de revoir à la baisse ces «sin-subsidies», ces subventions à une vie malsaine. L’effet sur les prix, et donc sur la santé publique, serait comparable.
Cette approche aurait le mérite de réduire la jungle réglementaire dont souffre le secteur agricole et de ménager la santé des finances publiques, tout comme celle des consommateurs.