Aujourd'hui, les scientifiques craignent que l'élan post-Covid en faveur d’un meilleur contrôle des risques biologiques ne s’essouffle, alors que les problèmes de transparence et de réglementation de la recherche demeurent.
L'impact du Covid-19 n'a été que trop réel pour les populations et les professionnels de santé du monde entier. Les hôpitaux débordés, les pénuries d'oxygène, les enfants orphelins et l'augmentation de la pauvreté par contrecoup des mesures de confinement ne sont que quelques-uns des problèmes rencontrés. Dans de nombreux pays du Sud, déjà éprouvés par d'autres épidémies telles que le choléra en Amérique latine et Ebola au Congo, l'impact a été double.
Pour les scientifiques qui observent l'évolution de la crise, la réponse globale a été décevante.
«La riposte de santé publique que nous avons vue n'a pas été très positive», juge Sandra López-Vergès, chercheuse en virologie au Gorgas Memorial Institute (Panama), en ce qui concerne l'Amérique latine. «Il y a eu un manque de financement. Je ne pense pas que nous ayons bien compris l'importance des travailleurs de santé à tous les niveaux, ce qui fait qu'il n'y a pas beaucoup de santé préventive.»
Selon elle, les graves inégalités de la région ont également exacerbé la situation. «Du fait des inégalités socio-économiques gigantesques en Amérique latine, les risques mais aussi la riposte de santé publique diffèrent beaucoup selon le statut, ce qui peut faciliter la propagation des épidémies.»
La fenêtre d’opportunités se referme
Sandra López-Vergès faisait partie des centaines de scientifiques, de spécialistes en éthique et de représentants de santé publique présent à la conférence du projet Pathogènes, organisé à Genève les 19 et 20 avril par la revue Bulletin of the Atomic Scientists. Lancé au lendemain des bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki à la fin de la Seconde Guerre mondiale, la revue s’intéresse aux menaces mettant en jeu la sécurité à l’échelle de la planète.
Son horloge du Jugement dernier, souvent reprise dans les médias grand public, se veut une mesure symbolique de la capacité de l’humanité à s’autodétruire, avec des menaces comme le changement climatique et les armes biologiques.
Pour Rachel Bronson, PDG du Bulletin of the Atomic Scientists, il importe d’organiser les conditions d’une conversation entre scientifiques du monde entier, dans un contexte où la polarisation politique tend à nourrir les doutes sur leurs travaux.
Interrogée par Geneva Solutions, Rachel Bronson juge qu'une plus grande transparence est essentielle pour les scientifiques qui travaillent sur les agents pathogènes, comme l'a montré le développement de vaccins Covid-19 en un temps record – grâce au partage du génome du virus par des scientifiques chinois. «Le fait que nous ne sachions toujours pas les origines de la dernière pandémie, entre l’hypothèse d’une émergence naturelle et celle d’une fuite de laboratoire, devrait nous alerter sur la difficulté qu'il y aura à faire la lumière à l'avenir», tempère-t-elle.
En attendant, Rachel Bronson s'inquiète du manque d’avancée sur la réglementation de la recherche sur les pathogènes, pourtant de plus en plus ambitieuse. Les laboratoires du monde entier stockent des virus à des fins de recherche. Des manipulations génétiques et de génie biologique sont réalisées, parfois jusqu’au gain-de-fonction, afin d’étudier l’émergence de nouvelles souches et des maladies associées, et développer de nouveaux traitements. Ce type de travaux est susceptible de déboucher sur le développement de virus plus dangereux.
Rachel Bronson:
«Le plus frustrant, c’est que nous avons laissé passer l’occasion de mettre en place les structures de gouvernance adéquates, qui pourtant faisaient consensus il y a ne serait-ce qu’un. Nous nous employons à maintenir la lumière sur ces questions et à faire en sorte que les organisations civiles s’en emparent, parce qu’on n’avancera pas si les gouvernements et les décideurs politiques ne sont pas mis sous pression.»
Gustavo Palacios, professeur de microbiologie et spécialiste des pathogènes émergents à l'Icahn School of Medicine (New York), mâche moins ses mots: «L'un des risques majeurs, c’est que nous avons une approche très nonchalante de la recherche sur les pathogènes».
Dans le passé, les recherches étaient «très réglementées et pilotées de façon très autocratique, mais il y avait une raison pour qu'il en soit ainsi», cingle-t-il. Les talents d’aujourd'hui n’ont peut-être pas le même niveau et ne sont pas en mesure de mener des recherches aussi contraintes.
Transparence et biosécurité
A l’arrière-plan des préoccupations entourant la recherche sur les pathogènes, il y a la question persistante des origines du Covid-19 en Chine. Après avoir tenté de cacher les débuts de l’épidémie à Wuhan, Pékin a entravé les enquêtes internationales sur les sources de la pandémie en Chine et, selon le New York Times, étouffé le débat académique dans les revues et les bases de données.
Des questions subsistent quant à savoir si l'épidémie a pu être causée par une contamination zoonotique, par contact avec des animaux sauvages tels que ceux vendus sur le marché de Wuhan, ou par une éventuelle fuite de laboratoire à l'Institut de virologie de Wuhan. Selon l'OMS, la pression croissante exercée par le développement humain sur les habitats naturels a fait de ces contaminations la principale cause des dernières pandémies.
George Gao, vice-président de la Fondation nationale chinoise des sciences naturelles, était présent à la conférence de Genève. Il a éludé le problème et affirmé que la Chine avait fait preuve de transparence en partageant ses informations sur le virus, ou encore que les règles de biosécurité étaient en place quand le virus a émergé. «Il y a eu beaucoup de théories du complots: que le virus a été fabriqué, qu’il y a eu des fuites de laboratoires… Mais où sont les faits?»
Pour tenter de remédier aux nombreuses lacunes en matière de santé publique que la pandémie de Covid-19 a mises en évidence, l'OMS et ses pays membres ont planché sur un traité relatif aux futures pandémies. Prévu pour publication en mai 2023, il intègre un nouveau règlement sanitaire international (RSI), et des lignes directrices en vue de réglementer et contrôler rigoureusement les laboratoires effectuant des recherches de type gain-de-fonction. En Septembre 2022, l’OMS a publié un ensemble de recommandations de biosécurité qui devraient aussi figurer dans le futur accord.
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Il existe d'autres protocoles internationaux sur la mise au point, la distribution et l'utilisation d'armes chimiques et biologiques, sous l’égide de l’ONU, mais beaucoup d’observateurs affirment que leur mise en œuvre reste lacunaire.
Pour Gustavo Palacios, la question de la transparence est au cœur des enjeux:
«Nous avons besoin d'un nouveau système pour encourager cette transparence. Si vous gardez pour vous certaines informations sensibles, alors aucune des avancées découlant de cette technologie ne pourra être mise en œuvre.»
Le spécialiste en pathogènes émergents appelle de ses vœux une agence internationale destinée à superviser les actions des état en matière de biosécurité, d’assurer la transparence et de décider de sanctions en cas d’absence de coopération – à l’instar de ce qui existe en matière nucléaire.
Au-delà des labo
La mise en œuvre de normes de sécurité sur les agents pathogènes risque s'avérer difficile dans certains pays. Ravindra Gupta, professeur en microbiologie clinique à Cambridge, a expliqué aux participants que le manque de ressources entre les États est susceptible d’entraîner des tensions entre les pays riches et les autres.
C’est un vrai problème en Amérique latine, confirme Sandra López-Vergès, car la plupart des pays manquent des ressources et des experts pour mettre en œuvre les normes de biosécurité nécessaires. «C'est peut-être le moment de renforcer les réseaux de coopération entre experts. Nous demandons de gros efforts de transparence, mais pour être transparent, il faut être en sécurité.»
Avec la pression de l’élevage intensif, le changement climatique et l’humanisation des habitats sauvages, certains pensent que la prochaine pandémie d’origine zoonotique est en chemin. Ce qui rend ce sentiment de sécurité plus difficile à atteindre.
«Je ne vois pas trop comment la situation pourrait s'améliorer», a ainsi déclaré Ravindra Gupta. «La plupart des causes des zoonoses prennent leur source dans le fonctionnement de notre société. L’humanité devient de plus en plus intensive dans tout ce qu’elle entreprend. On ne voit pas bien comment sortir de cette quête effrénée de capital et de ressources.»
Cet article, traduit de l’anglais par Yvan Pandelé, a été initialement publié sur le site Geneva Solutions, consacré aux questions internationales et humanitaires.