Mais que va donc entendre notre cher président? Qu’il lui faut mettre de l’ordre dans ses affaires? Ou même commencer à préparer son départ, parce que onze ans au Conseil fédéral c’est beaucoup, et que les places à la tête de la Confédération seront chères en décembre prochain, après les élections fédérales?
Doit-il surtout entendre le rappel à l’ordre du système qui est le nôtre, pour le meilleur et le pire: en Suisse, on ne tolère pas (trop longtemps) les dirigeants trop puissants? Même quand ils savent y faire et que le peuple les adore.
Cela n’a rien de personnel, c’est constitutif de notre ADN, de notre système et de notre histoire.
Berset ou la surpuissance
Alain Berset a beau être le chouchou des Suisses (encore aujourd’hui, malgré l’affaire des fuites). Il a beau être l’un des seuls conseillers fédéraux dont la plupart des citoyens connaissent le nom et le visage. On peut saluer la gestion brillante de ses dossiers – pas seulement dans la crise Covid –, son intelligence politique hors pair et une maîtrise (presque) parfaite des médias. Mais l’actuel président de la Confédération n’en reste pas moins un simple conseiller fédéral au pouvoir institutionnellement limité.
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L’affaire des fuites arrive à point nommé pour le lui rappeler. Pas de superstar de la politique qui tienne; ici en Suisse, on ne fabrique pas de François Mitterrand, même de notre meilleur bois. Tout notre édifice politique est construit autour de ce principe centrifuge: ventiler au maximum les compétences. Les conseillers fédéraux sont un collège, le Parlement garde la main, mais individuellement chaque parlementaire ne pèse pas lourd.
Quant au peuple, il n’élit pas l’exécutif (pas de mauvaises tentations populistes) mais détient plusieurs leviers de contrôle sur ses politiques. Tout le monde se tient mais au final, personne ne détient grand-chose.
Chez nous, on n’a pas besoin d’un papa
Pourquoi? Parce que les Suisses, historiquement, ne sont pas des sujets, contrairement aux Français (au hasard). Ils ne recherchent pas dans leurs dirigeants un papa ou un roi qui les biberonne, les protège et à qui ils accorderaient en échange puissance et privilège. Ni même une reine. Notre héros, Roger, fédère mais bien loin du champ politique.
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En Suisse, peuple de bourgeois et de paysans, le boss, c’est nous, vous et moi, qui confions la gestion du pays à des mandataires, comme on confierait ses économies à un banquier. Les politiques sont là pour nous représenter, toutes et tous, et faire tourner la boutique. Une bonne gestion du pays et la paix sociale, voilà ce qu’on attend d’eux. Ni moins ni plus.
Pour le meilleur ou le pire
Le système a ses limites et ses exceptions, bien sûr. Pour le Conseil fédéral, il produit beaucoup de gentils et faibles gestionnaires dont les livres d’histoires ne garderont aucune trace, beaucoup de moyennement compétents qui font l’affaire – preuve qu’on peut faire avec. Et parfois aussi quelques étoiles.
C’est alors le grand frisson. Le chant des sirènes auquel nous pouvons, tout comme Ulysse, nous soumettre sans crainte, les mains bien attachées au mât du navire par les partis et les parlementaires.
Dommage, peut-être, mais à bien regarder ailleurs, on peut se féliciter d’être immunisé, ici, contre la tentation du pouvoir absolu.