Bien sûr, je sais les dommages psychologiques causés par ces deux années, à un âge qui aurait dû être celui de la découverte de l’indépendance. Les lacunes de l’école à distance — la fermeture des écoles a été une des erreurs majeures de la gestion de la pandémie —, la «cohabitation forcée» avec des parents souvent anxiogènes. Mais je n’avais pas mesuré l’ampleur du mal-être de nos enfants, que nous n’avons pas su accompagner durant cette crise. Le nombre de jeunes en détresse psychologique a plus que doublé entre 2017 et 2021, selon un rapport de l’Observatoire suisse de la santé. Et celui des tentatives de suicides d’ados a très fortement augmenté en 2021.
«Un tiers des élèves va mal…» La direction du collège nous avait prévenus dans un long soupir: son rôle consiste de plus en plus à soutenir ces élèves au moral en berne, à éviter qu’ils ne décrochent, à ne pas les laisser sombrer. Et cela alors que la détresse finit par toucher aussi les profs, dépités, démunis. Pas assez soutenus par leur département, le DIP.
«Vous pensez que c’est nous, les troisième année, qui allons le plus mal?», a demandé une collégienne à son doyen. Dans les questions des ados, il y avait des appels à l’aide. Une volonté de soutien, un besoin d’être entendus et compris. Et, surtout, le sentiment d’être surchargés, débordés, surmenés. Le phénomène n’est pas nouveau mais la consigne a longtemps été de serrer les dents alors que les pratiques actuelles privilégient l’expression du malaise. Cela joue-t-il un rôle? Peu importe, finalement: sensation de noyade il y a, et il faut s’en alarmer.
Nos enfants n’ont pas 20 ans mais déjà deux crises planétaires sur le dos, une pandémie et une guerre à nos portes. Ils ont aussi compris que le monde dans lequel nous les avons jetés, en urgence climatique absolue, se vide comme un sablier par la faute de notre cupidité, notre paresse, notre égoïsme. Or l’éco-anxiété ruine aussi le moral de nos enfants…
Ces jeunes que nous avons rencontrés réclament des solutions concrètes et applicables. Ils veulent des changements. Pour le climat, bien sûr, mais aussi pour l’école, fruit des choix politiques opérés au 19e siècle à l’aune du productivisme et du mirage de la croissance infinie, dans laquelle ils ne se reconnaissent pas. Et, toujours, cette même tension en filigrane, entre une école de compétences sociales et citoyennes versus une école de l’apprentissage dur, avec des objectifs chiffrés.
Tout le monde se défausse. Les jeunes trouvent que les profs n’en font pas assez. Les profs pointent les limites de la direction de leur établissement. Lesquelles dénoncent les manquements des départements de l’instruction publique. Qui, quand ils ne renvoient pas aux mauvaises décisions de Berne (dans le cas de la maturité, soumise à des règles fédérales), insistent sur la responsabilité revenant aux citoyens d’opter pour un changement profond. «J’ai quand même l’impression que vous vous renvoyez tout le temps la balle», a lancé lundi un des collégiens. A raison. Comme pour la lutte contre le dérèglement climatique, les adultes reconnaissent le problème, mais laissent à d’autres le soin de le régler. D’accord pour les éoliennes, mais pas dans mon jardin.
Mais alors ce point de rupture? Allons-nous mieux que nos enfants? Autour de moi, je vois du surmenage, de la fatigue chronique, des troubles du sommeil, du stress, des burn-out, des dépressions. En quête de sens, de renouveau, de repères, les sociétés occidentales ne sont-elles pas touchées dans leur ensemble? Lancés tête baissée dans le toujours plus (à faire, à avoir, à consommer), avons-nous franchi une limite psychologique? Voir cette semaine des jeunes en détresse a provoqué un déclic. J’ai compris que le problème était aussi dans mon mode de vie. Et quand j’aurai trouvé comment agir, je reprendrai la parole dans cette newsletter!