Mauro Poggia: «J'ai dit à Pierre Maudet qu'une caisse publique était une fausse bonne idée»
Qu'a accompli Mauro Poggia en dix ans à la tête de la Santé à Genève? C'est l'heure du bilan pour l'ex-homme fort du Conseil d'Etat genevois, qui entend désormais se faire élire au Conseil des Etats. Entretien.
Le conseiller d’Etat genevois Mauro Poggia quittera ses fonctions le 31 mai 2023 après avoir dirigé la Santé pendant dix ans. Il nous a accordé un long entretien pour discuter de son bilan. Alors que son successeur, Pierre Maudet, entend appliquer sa promesse de campagne consistant à mettre sur pied une caisse maladie publique, Mauro Poggia estime que c’est une fausse bonne idée. L’ex-ministre confirme également à Heidi.news son intention de se présenter au Conseil des Etats, et revient sur l’affaire Morel.
Heidi.news — Vous vouliez redonner plus de pouvoir à Genève sur la gestion de l’assurance maladie obligatoire, ce qui a échoué. Votre successeur, Pierre Maudet, souhaite en faire autant. C’est voué à l’échec?
Mauro Poggia — J’aimerais d’abord dire que tout ce que nous avons fait n’a pas été un échec. A chaque fois que le droit fédéral nous a donné une ouverture pour permettre au canton de peser sur les coûts de l’assurance maladie obligatoire, nous avons saisi l’occasion. Nous avons mis en œuvre un contrôle sur l’installation des équipements lourds, réinstauré la clause du besoin et développé une planification hospitalière qui a permis de juguler les effets indésirables du libre choix des patients prôné par la Confédération. C’est évidemment un échec si l’on considère que Genève n’a pas été en mesure de fixer le montant des primes maladie et d’en maîtriser la hausse, comme j’aurais voulu le faire. Aujourd’hui, nous savons que cela nécessiterait une modification de la loi fédérale sur l’assurance maladie (LAMal).
Revenons-en à Pierre Maudet. Il a affiché son intention d’aller lui aussi dans le sens d’une plus grande autonomie pour le canton, en défendant l’instauration d’une caisse maladie publique.
Je lui ai dit que c’était de mon point de vue une fausse bonne idée, et je suis convaincu qu’il rejoindra mon appréciation lorsqu’il disposera de toutes les données. Une caisse maladie publique censée appliquer des règles plus strictes, fixées par le canton, tout en évoluant en concurrence avec des caisses maladie privées, ça n’est pas réaliste. Une telle entité n’aurait de sens que si elle a un monopole territorial, et c’est une option qui ne peut pas aujourd’hui trouver de majorité politique fédérale. Il faut demander que l’on permette aux cantons qui le souhaitent de tenter l’expérience. C’est cela le fédéralisme.
L’heure du bilan
Si vous deviez reprendre votre mandat à zéro, que feriez-vous différemment pour réussir à faire baisser les primes des Genevois?
Rien de plus. Cela ne veut pas dire que j’ai tout fait juste, mais j’ai le sentiment d’avoir saisi toutes les ouvertures, trop faibles, que nous a laissé la LAMal, pour tenter de peser sur le montant des primes maladie.
Genève est le canton qui compte le plus de dossiers ouverts sur le dossier électronique du patient (DEP). Comment jugez-vous l’avancée de ce projet au niveau fédéral?
C’est catastrophique. La Confédération, par l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), n’assume pas ses responsabilités. Nous avons aujourd’hui un problème dans notre manière de concevoir le fédéralisme. Il ne peut pas être la réponse pour chaque projet. Le DEP en est le parfait exemple: cela n’a pas de sens d’exiger des cantons que chacun ait le sien. En l’occurrence, le fédéralisme sert juste d’oreiller de paresse à un OFSP qui ne veut pas piloter le dossier.
Selon moi, ce projet est confronté à deux obstacles majeurs, qui doivent être pris en charge par la Confédération. Le premier, c’est qu’il n’est pas possible pour les autorités cantonales d’obliger les professionnels de la santé déjà installés à participer à CARA, la communauté des cantons de Genève, Vaud, Valais, Fribourg et Jura qui gère la plateforme numérique du DEP. Le deuxième, c’est que les médecins n’ont aucune obligation d’entrer des informations dans le DEP, quand bien même un patient l’utilise. Il faudra aussi revoir le processus qui permet de s’inscrire au DEP, aujourd’hui beaucoup trop compliqué.