Les vaccins à ARN risquent-ils de modifier le génome?

Exceptionnellement, nous avons décidé de mettre cet article à disposition gratuitement de tous nos lecteurs, tant ces informations sont utiles pour comprendre l'épidémie en cours. L'information a néanmoins un coût, n'hésitez pas à nous soutenir en vous abonnant.

Une molécule d'ADN un peu plus classe que dans la vraie vie. | Pixabay / Lisichik

L’arrivée imminente de deux vaccins à ARN messager contre Covid-19, fabriqués par Pfizer-BioNTech et Moderna, n’est pas sans susciter des questions. Une très fidèle lectrice nous demande comment fonctionnent ces vaccins. Beaucoup d’autres s’inquiètent du risque que ces vaccins, qui reposent sur l’inoculation de matériel génétique, ne modifient le génome et transmettent ces mutations à la descendance.

La réponse d’Yvan Pandelé, journaliste scientifique au Flux santé. Chers lecteurs, merci de nous poser cette question. Le mot génétique est anxiogène, il évoque les OGM et l’eugénisme. Le terme de «vaccin génétique», qui englobe les vaccins à ARN et à ADN, n’invite donc guère à la confiance. Mais c’est une peur qui ne repose sur rien de concret.

Commençons par remarquer que des bouts de séquence génétique, il y en a partout. Dans chaque cellule de chaque être vivant. Quand vous buvez un jus de carotte ou mangez un steak, vous ingérez des fragments d’ADN et d’ARN qui auraient bien du mal à vous faire muter. Encore faudrait-il que ce matériel puisse pénétrer intact dans le noyau des cellules et s’intégrer au génome.

Or, le fonctionnement des vaccins à ARN messager rend cette éventualité si peu plausible qu’elle tient de la science-fiction. Les médecins et biologistes compétents sur ces sujets sont même surpris – voire interloqués – de constater que cette inquiétude a gagné le débat public. Voyons pourquoi.

Les vaccins à ARN messager. Le processus d’expression d’un gène, quel qu’il soit, est le suivant. La portion d’ADN correspondant au gène est transcrite en ARN messager à l’intérieur du noyau de la cellule. L’ARN messager est ensuite transporté en périphérie de la cellule, dans le cytoplasme. C’est là qu’il est traduit en protéines, via une machinerie cellulaire bigarrée (ribosomes, appareils de Golgi…). Ce processus se déroule en continu dans les cellules de l’organisme.

Les vaccins à ARN messager tirent profit de cette faculté pour produire l’antigène d’intérêt – la fameuse protéine S du coronavirus – au sein du corps humain. On n’injecte pas la protéine elle-même, mais l’ARN messager qui code pour elle. Cette séquence est transportée dans des nanoparticules de lipides, qui fusionnent avec les cellules rencontrées pour y relâcher leur cargaison.

COVID-19 Vaccine Candidate mRNA-1273 (Moderna).png
Heidi.news, DR. Créé avec BioRender.

La machinerie cellulaire s’active alors à traduire ces fragments d’ARN étrangers en protéines S virales, exactement comme elle le fait avec des milliers d’ARN messagers humains. (C’est ce mécanisme qu’emploie le coronavirus pour se répliquer dans son hôte, en lui faisant produire ses propres protéines.)

vaccin ARNm fonctionnement.png
Heidi.news, DR. Créé avec BioRender.

Avec les vaccins à ARNm, on n’injecte pas l’antigène viral mais son plan de fabrication. Ce processus a l’avantage d’éviter les problèmes de mise en culture et de purification inhérents à la production des vaccins classiques. Et il s’avère mille fois moins invasif que n’importe quelle infection virale, comme le remarque le biologiste Bruno Pitard, directeur de recherche CNRS et spécialiste de ces technologies à l’université de Nantes:

«On se pose la question d’une intégration au génome avec un système de transport lipidique de l’ARN alors qu’on ne se pose pas la question avec le coronavirus! Et pourtant, il fait produire à la cellule hôte, à partir de ses propres molécules d’ARN, pas moins de vingt-neuf protéines…»

Le risque d’intégration génomique. Nombreuses sont les raisons pour lesquelles l’ARN messager n’est pas en mesure de modifier le génome des cellules humaines. Voyons cela.

  • l’ARN messager est un… simple messager

Le rôle de l’ARN messager consiste à véhiculer de l’information génétique entre le noyau des cellules et leur cytoplasme. Mais ce trajet est unidirectionnel: l’ARN messager n’est jamais transformé (on dit «rétrotranscrit») en ADN. Chantal Pichon, biologiste moléculaire et spécialiste des traitements par ARN au Centre de biophysique moléculaire (CNRS) d’Orléans:

«L’ARN n’a pas du tout de possibilité de s’insérer. La molécule ne présente aucune séquence qui permettrait son intégration au génome.»

Les seules exceptions connues à ce phénomène ont trait… à certains virus, baptisés rétrovirus. Le VIH est le plus connu chez les humains. Ceux-ci sont capables de transformer leur ARN en ADN puis de venir se nicher dans le génome des cellules infectées. Ils emploient à cette fin des enzymes baptisées «transcriptases inverses», qui leur sont propres.

De là à poser un risque croisé si le vaccin rencontre des cellules infectées par de tels virus? Bruno Pitard explique pourquoi ce n’est pas possible:

«Il faudrait que la cellule humaine exprime une rétrotranscriptase virale endogène intégrée au génome, capable de transformer l’ARN de la protéine S du coronavirus en ADN. Ce n’est pas le cas, les cellules eucaryotes ne réexpriment quasiment pas ces enzymes.  De plus, les rétrovirus ne s’amusent pas à rétrotranscrire tous les ARN messagers de la cellule, ça coûterait beaucoup trop d’énergie. Les ARN doivent être à proximité de l’enzyme.»

  • l’ARN messager n’entre pas dans le noyau

Non seulement l’ARN injecté par les vaccins est structurellement distinct de l’ADN, mais il n’entre même pas dans le noyau des cellules humaines, où sont empaquetées les longues molécules d’ADN qui constituent le génome.

Bruno Pitard:

«Les ARN messagers n’ont pas de système de transport du cytoplasme vers le noyau cellulaire, il n’existe aucun mécanisme de transport rétrograde.»

C’est d’autant plus improbable que le noyau cellulaire est une zone très protégée de la cellule — et pour cause, elle contient son précieux matériel génétique. Chantal Pichon:

«Le noyau est entouré d’une double membrane avec des pores, dont le passage est extrêmement régulé. Tout va dépendre de la taille de la molécule. Les chances que cet ARN messager pénètre dans le noyau sont pratiquement nulles. Ça peut se produire avec d’autres ARN de très petite taille, mais les ARN messagers sont de grosses molécules.»

  • l’ARN messager est un fragile

Autre garde-fou: l’ARN messager est une molécule très instable. Les cellules fourmillent d’enzymes (ribonucléases) ayant pour effet de dégrader l’ARN messager, selon un processus de régulation complexe mais très efficace. En pratique, ces molécules ne survivent que quelques heures dans le cellule.

Chantal Pichon travaille justement à stabiliser l’ARN messager pour traiter certains cancers:

«L’ARN a une nature d’expression transitoire, on est justement obligés de composer avec dans nos recherches thérapeutiques. Pour l’heure, on ne parvient pas à le faire durer plus de trois ou quatre jours avant qu’il soit dégradé par les enzymes.»

L’environnement extérieur aux cellules, qu’il s’agisse de fluides biologiques ou de surfaces inertes contaminées, n’est pas plus clément avec l’ARN messager. «Si je prends mon ARN, que je laisse sur ma paillasse sans précaution et que je regarde 2-3 jours plus tard, il y a une modification ou une dégradation», précise Chantal Pichon.

D’où la nécessité de recourir à la congélation pour stabiliser les vaccins à ARN messager, à -20 °C pour le Moderna ou -70° degrés pour le Pfizer.

  • le système immunitaire est xénophobe

Quel est le destin d’une cellule après l’injection d’un vaccin Covid-19 à ARN messager? On l’a dit: cette cellule va incorporer l’ARN, produire des protéines S virales et les arborer à sa surface. Or la protéine S est très visible pour le système immunitaire. C’est le principe même de ces vaccins que de susciter une réponse immunitaire vigoureuse contre S – et on sait désormais qu’ils sont efficaces.

Le système immunitaire va donc s’empresser, via divers mécanismes qu’il serait fastidieux de détailler, d’apprendre à reconnaître les cellules humaines arborant la protéine virale S, avant de les neutraliser. Il suffit de quelques jours pour enclencher ce processus. La cellule mutée (par hypothèse) aurait ainsi toutes les chances d’être détruite, et sa mutation avec.

  • et si jamais?

Poursuivons dans la science-fiction. Imaginons que par extraordinaire, quelques molécules d’ARN messager parviennent à interférer durablement avec le génome de quelques cellules humaines, lesquelles auraient survécu aux foudres du système immunitaire. Que se passerait-il?

La réponse est… rien. Des mutations spontanées ne cessent d’apparaître dans l’organisme, du fait notamment des erreurs de réplication des cellules lorsqu’elles se divisent. Il faudrait donc qu’un vaccin provoque un nombre élevé de mutations, et d’un type particulier, pour donner lieu à un sur-risque substantiel (de cancer, typiquement).

Enfin, ces mutations – hypothétiques, rappelons-le – n’auraient pas même la décence d’être héréditaires. On admettra qu’il y a loin du muscle de l’épaule, où sont injectés les vaccins, aux gonades (ovaires ou testicules), où résident les cellules susceptibles d’être transmises à la descendance.

Pour aller plus loin. Quelle que soit la façon dont on tourne la question, les vaccins à ARN messager ne sont donc pas en mesure de modifier le génome. Mais pour être complet, on peut préciser que d’autres types de vaccins portent en germe un tel risque, tout théorique et infinitésimal qu’il soit. Le sujet n’est donc pas un pur fantasme de complotistes… si l’on veut bien s’y pencher sérieusement.

C’est le cas des vaccins qui emploient un vecteur adénovirus (comme Oxford-AstraZeneca, Cansino ou Janssen), une plateforme de virus à ADN initialement conçue pour les thérapies géniques. Les adénovirus entrent dans le noyau mais n’ont pas tendance à s’intégrer au génome, et les études animales confirment que ce risque est très faible. Les agences règlementaires les classent dans la catégorie des vecteurs non-intégratifs et ne demandent pas d’études de biosécurité spécifique.

C’est aussi le cas, de façon plus sérieuse, des vaccins à ADN, encore largement expérimentaux. Cette perspective a d’ailleurs ralenti leur développement dans le champ des maladies infectieuses. Un seul vaccin Covid-19 de ce type est à l’étude (par la société américaine Inovio) sur plus de 200 projets recensés par l’OMS. Il mise sur un faible risque théorique d’intégration génomique, au moins 1000 fois inférieur au taux de mutation naturel.