Le virus de la variole du singe est-il en train de s’adapter à l’homme?
On ne l’attendait pas, mais elle semble partie pour rester. La variole du singe circule depuis peu sous nos latitudes, ce qui pose d’épineuses questions: pourquoi la maladie, jusque-là restée en Afrique, a-t-elle gagné le reste du monde? Que sait-on du virus? Et surtout, ce cousin de la variole humaine — de sinistre mémoire — est-il en train de s’adapter à l’homme? Heidi.news vous dévoile les premières réponses des scientifiques.
Pourquoi il est encore tôt. Les premiers cas répertoriés en Europe remontent à mai 2022. Trois mois plus tard, les virologues ont eu le temps de séquencer quelques dizaines d’échantillons et d’échafauder des hypothèses. Mais il faudra encore plusieurs mois pour trancher, le temps d’accumuler des données, tester des hypothèses et décrypter un génome imposant et méconnu.
Anatomie d’un faussaire. La variole du singe (monkeypox en anglais) est d’abord une maladie animale, au nom trompeur:
C’est chez des macaques que la maladie est identifiée pour la première fois, en 1958, dans une animalerie de Copenhague (Danemark).
Il faudra attendre douze ans, en 1970, pour identifier le premier cas humain, chez un petit garçon de 9 mois vivant dans un village du nord de la République démocratique du Congo. (Hospitalisé, il survivra à l’infection mais décédera de la rougeole moins d’une semaine après sa sortie.)
Mais le virus de la variole du singe (MPXV, monkeypox virus) n’est pas bien adapté aux primates. Chez l’homme, comme chez les primates non humains, les chaînes de transmission tendent — tendaient — à s’éteindre rapidement.
La plupart des flambées enregistrées depuis les années 1970, en Afrique et occasionnellement sur d’autres continents, trouvent en fait leur origine chez des rongeurs, comme le rat de Gambie ou certains écureuils. C’est donc avant tout un virus opportuniste, qui circule entre plusieurs espèces animales.
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Le réservoir naturel du virus, c’est-à-dire les espèces animales auxquelles il s’est adapté et chez qui il circule de façon optimale, n’a pas été clairement identifié à ce jour. Jean-Claude Manuguerra, spécialiste des zoonoses et directeur de la Cellule d'intervention biologique d'urgence de l’Institut Pasteur de Paris:
«Il y a trois-quatre ans nous avons commencé un programme de recherche, Afripox, en collaboration avec l’Institut Pasteur de Bangui (en Centrafrique, ndlr.) et le Muséum d’histoire naturelle de Paris, qui avait pour objectif de chercher le réservoir du virus. Je n’ai pas la fin de l’histoire: c’est sans doute un rongeur, une espèce d’écureuil, mais on cherche encore.
Il est probable que la saisonnalité joue aussi un rôle, dans cette zone traversée par l’équateur. Une des hypothèses, c’est que les populations locales récupèrent davantage ces animaux pendant la saison des pluies.»
Une famille de durs à cuire. MPXV est un virus à ADN de la famille des orthopoxvirus, des pathogènes surtout animaux, dont l’infection se manifeste souvent par l’apparition de pustules contagieuses («pox» en anglais), et qui arborent un imposant génome. «Celui de MPXV fait de 180 à 200 kilobases, précise Jean-Claude Manuguerra. C’est énorme par rapport au plus grand ARN viral connu, celui de Sars-CoV-2, de 30 kilobases.»
Ce génome «extrêmement complexe» comporte encore bien des zones d’ombres, d’autant qu’il a été beaucoup moins étudié que d’autres stars des paillasses (influenza, VIH, VHC, Sars-CoV-1 et 2, etc.). Il compte «plusieurs centaines de protéines», dont beaucoup ont pour fonction d’échapper aux défenses de leur hôte, poursuit le pasteurien:
«Ce sont des virus qui ont à peu près tous les mécanismes d’échappement à l’immunité possibles. (…) Ils ont adopté à peu près toutes les parades contre les infections virales, et sont résistants au milieu extérieur. En plus ils ont tendance à sauter d’une espèce à l’autre.»
Cette versatilité dans le choix des hôtes connaît une exception: le virus de la variole humaine, très fidèle à son espèce d’élection (nous):
C’est d’ailleurs cette absence de réservoir secondaire qui a permis son éradication, le dernier cas connu datant de 1977.
A ce jour, le virus de la variole ne subsiste que dans deux endroits au monde: le laboratoire russe Vektor, en Sibérie, et celui des NIH américains, à Atlanta. Si d’autres stocks subsistent, ils sont illégaux et donc secrets.