Le traité international sur les pandémies prend forme et le débat s'annonce chaud

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Le traité censé suppléer aux manquements observés pendant le Covid-19 est en cours d’élaboration entre les Etats membres de l’OMS. Une première version vient d’être dévoilée et révèle des points de divergence importants entre les parties – qu’il faudra bien surmonter.

Une première version de ce que pourrait contenir le futur traité sur les pandémies a circulé parmi les délégations mercredi, alors que les pays étaient réunis à Genève, à l'Organisation mondiale de la santé (OMS), pour discuter de l'avenir de la santé mondiale jusqu'au 7 février.

En décembre 2021, alors que le Covid-19 venait de les mettre à rude épreuve, les États membres de l’OMS ont décidé d'élaborer un accord sur la manière de faire face aux urgences sanitaires mondiales: le traité sur les pandémies.

Le document actuel, de 32 pages, servira de base pour le lancement des négociations fin février. Il reste un peu plus d’un an aux parties pour décider ce qui devra y entrer et en sortir.

La prochaine pandémie menace

Il y a trois ans, le Covid-19 a pris le monde par surprise, ébranlant même les systèmes de santé les plus solides. Le virus a tué à ce jour près de 7 millions de personnes et perturbé les économies en profondeur, avec de nombreuses faillites et des pertes d’emploi à la clé.

Ce n’est pourtant qu’un aperçu de ce que l’avenir nous réserve, préviennent les experts. Le changement climatique, la déforestation et le commerce d'animaux sauvages accroissent le risque de voir des agents pathogènes se diffuser, d’abord chez l’animal puis chez l’homme, provoquant une nouvelle pandémie.

Que signifie une plus grande équité?

L'une des principales insuffisances que le traité entend corriger est l'inégalité d'accès aux vaccins, aux tests, aux masques et autres produits liés à la pandémie. Selon un rapport récent de People’s Vaccine Alliance, les pays riches ont accumulé les tests Covid-19 et Monkeypox, tandis que les pays plus pauvres luttaient pour s’en procurer à un prix difficilement accessible pour eux.

Dès ses premiers mots, la «version zéro» du traité sur les pandémies se veut sans concession à cet égard. Du point de vue de la solidarité et de l’équité, la riposte Covid-19 y est qualifiée d’«échec catastrophique de la communauté internationale».

Le texte suggère que les pays pourraient être invités à livrer 20% de leurs stocks pandémiques à l'OMS, la moitié sous forme de don et l'autre à un prix modique. La proposition stipule également que les pays disposant de capacités de fabrication devraient fournir leur aide pour que les produits soient livrés selon un calendrier convenu entre les fabricants et l'OMS.

Selon un diplomate genevois, qui préfère garder l’anonymat, le document est «très large» à ce stade, et consiste surtout en une compilation de différentes propositions faites par les pays membres. Précisant que le document est «conforme avec le mandat du Bureau» de l’Organe intergouvernemental de négociation, il craint que bon nombre de ces propositions soient retoquées, faute d’accord des parties en présence.

Le clivage Nord-Sud au tournant

L'un des principaux points de désaccord concerne les droits de propriété intellectuelle. La question est soulevée à maintes reprises dans le texte, invitant les pays à ne pas laisser les accords de propriété intellectuelle entraver la protection de la santé des personnes – une question qui a suscité de nombreuses controverses entre les pays du Sud et ceux du Nord.

Jusqu'à présent, les discussions sur les droits de propriété intellectuelle se sont surtout faites dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). La proposition menée par des pays du Sud de lever ces droits pour les vaccins Covid-19 n'a été adoptée l'année dernière qu'après des négociations longues et âpres, en dépit de l'opposition initiale de la Suisse, de l'Union européenne, des États-Unis et d'autres pays occidentaux hébergeant des géants de la pharma.

Mais la résistance à aller plus loin au sein de l'OMC, qui a bloqué une initiative visant à étendre cette dérogation admise pour les vaccins Covid-19 aux tests et aux thérapies, a contraint ses partisans à se trouver d'autres champs de bataille.

C’est là qu’entre en scène le traité sur les pandémies. Le texte comporte huit paragraphes qui reflètent une palette de positions plus ou moins fortes sur les droits de propriété intellectuelle. Une phrase décrit ces droits sur les «technologies médicales vitales» comme une menace directe pour la santé mondiale, et d'autres s'inquiètent de leur effet sur les prix. Dans une autre, ces droits sont au contraire considérés comme importants pour le développement médical.

Avec un tel éventail de positions, la teneur du texte final est ouverte. «Les droits de propriété intellectuelle pourraient poser un défi dans les négociations», estime notre diplomate genevois. Pour lui, il n’y aura d’accord que si les parties parviennent à éviter de tomber dans clivage Nord-Sud.

Autre proposition susceptible de rencontrer une forte opposition: la mise en place d’un système de partage des pathogènes à potentiel pandémique – un système baptisé BioHub, et qui devrait être centralisé en Suisse. En cas de foyer épidémique, les pays seraient tenus de partager leurs informations en seulement quelques heures. Combien exactement, ce sera un sujet de discussion.

Les pays ont des avis divergents sur la quantité et la nature des données qu'ils souhaitent partager. La Chine a été critiquée par l'OMS en début d’année pour ne pas avoir fourni toutes les informations pertinentes concernant sa vague Omicron. Le pays a également fait l'objet de vives critiques en début de la pandémie pour avoir refusé de coopérer aux enquêtes sur les origines de la pandémie.

L’occasion de faire des compromis?

La question épineuse des droits de propriété intellectuelle ne doit pas monopoliser les débats, estime Nicoletta Dentico, directrice du programme «Santé mondiale et justice» de la Société pour le développement international:

«Certains espèrent que le traité débouche sur un accord afin de relancer le programme inabouti de l'OMS sur un meilleur accès aux médicaments (via la levée des droits de propriété intellectuelle, ndlr.). Mais ce point de vue réduit la portée du traité sur la pandémie à négocier, ce qui n'est pas un résultat souhaitable.»

Mais comme souvent dans les négociations compliquées, des concessions sur la propriété intellectuelle pourraient aider à obtenir un assentiment général sur le traité. C’est la position exposée par Suerie Moon, codirectrice du Graduate Institute à Genève, dans un article récent:

«Si les pays industrialisés acceptent de partager la propriété intellectuelle et la technologie, les pays en développement pourraient accepter de partager les échantillons d'agents pathogènes et les données de séquençage génomique correspondantes, qui sont essentielles à la fois pour la surveillance et le développement rapide de tests de diagnostic et de vaccins.»

Et la prévention dans tout ça?

Nicoletta Dentico (Société pour le développement international) a un regret: alors que le projet de traité comprend des pages et des pages sur la riposte futures urgences sanitaires mondiales, rien n’y figure concernant la prévention des émergences zoonotiques – ces passages d’un pathogène de l’animal à l’homme, préalables à toutes les pandémies connues.

Autre enjeu qui brille par son absence: la résistance aux antibiotiques. «C’est la pandémie actuelle, mais seules quelques lignes lui sont dédiées, pour dire qu’il faut de la recherche et du développement pour y remédie», s’agace-t-elle. «Cela signifie qu'ils n'ont pas du tout compris la nature de la résistance antimicrobienne.»

Le document ouvre toutefois la porte à une collaboration avec d'autres traités en lien avec la résistance aux antibiotiques, comme la Convention sur la biodiversité ou le groupe de l’OMS créé en 2021 pour travailler sur les liens entre la santé humaine et l'environnement.

Le texte invite également les gouvernements à s'attaquer à des facteurs tels que le changement climatique et le changement d'affectation des terres, et à élaborer des plans nationaux axés sur une approche unique de la santé. Mais il n'entre pas dans le détail de ce que devraient être ces mesures et ne fixe aucun objectif.

«Il y a un risque d'occasion manquée», souligne Nicoletta Dentico. Tout en soulignant que les vaccins et les médicaments sont essentiels pour faire face aux crises sanitaires, elle fait remarquer que, dans le projet zéro de traité, les systèmes de santé sont abordés après les produits médicaux, «dans une définition très générale», ce qui est «totalement contre-intuitif».

«Cette vision biomédicale se heurte à la réalité. Les contre-mesures ne vivent pas en vase clos, elles ont besoin de personnes, de la mise en œuvre d'une véritable vision One Health, et de systèmes de santé, ajoute-t-elle. Cela montre à quel point la vision occidentale médicalisée de la santé, avec l'industrialisation qui l'accompagne, déforme la culture politique autour de la santé.»

Un calendrier serré

L'échéance pour l’adoption du traité sur les pandémies est fixée à mai 2024, et l'horloge tourne vite. Si ce délai répond au sentiment d'urgence, il pose question quant à la capacité des pays à surmonter des divergences aussi importantes en si peu de temps.

En parallèle, les pays membres de l’OMS négocient une réforme du Règlement sanitaire international (RSI), qui régit la manière dont les pays gèrent les urgences sanitaires mondiales. Le sujet épineux du partage des données et des technologies a aussi vocation à être abordé dans ce cadre.

Il n’est pas impossible, estime Surie Moon, que «rien ne soit convenu tant que tout n'est pas convenu», ce qui ferait traîner les discussions au-delà de l'échéance de 2024.

Si les États parviennent à un accord, celui-ci devra être ratifié par 30 d'entre eux avant d'entrer en vigueur, ce qui pourrait également repousser le jour où le monde disposera d'un nouveau traité sur les pandémies.

Cet article, traduit de l’anglais par Yvan Pandelé, a été initialement publié sur le site Geneva Solutions, consacré aux questions internationales et humanitaires.