Le nouveau coronavirus risque-t-il d’échapper à un futur vaccin?

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Pixabay / Olga Lionart

Un lecteur nous demande un avis sur un texte alarmiste concernant les mutations du nouveau coronavirus, diffusé sur les réseaux sociaux et dont voici un extrait: «Le virus mute 1000 fois plus vite que les virus de la grippe et 36’000 fois plus vite que la rougeole... C'est EXTRÊMEMENT inquiétant, et la grande majorité de la communauté scientifique ne se rend pas encore compte de cela.» Le reste du passage développe l’argumentaire de façon plus détaillée, mais le cœur du propos est là.

La réponse d’Yvan Pandelé, journaliste (faiblement muté) du Flux santé. Les virologues se veulent rassurants sur ce point. Il me semble même en avoir entendu affirmer à la TV que le coronavirus n’avait pas muté. C’est un abus de langage: comme tous les virus, celui de Covid-19 accumule des mutations au fil du temps. Mais la question centrale consiste à déterminer si ces mutations sont fréquentes et si le risque est important de rendre un futur vaccin invalide. Et le bilan est, pour l’heure, favorable. Détaillons.

Le virus mute assez peu. À ce jour, plus de 3000 échantillons du nouveau coronavirus (Sars-CoV-2) ont été séquencés dans le monde. Les génomes bruts sont mis à disposition de la communauté scientifique sur la plateforme Gisaid (initialement créée pour la grippe), tandis que le site Nextstrain permet de visualiser ces données sous formes d’arbres évolutifs et de cartes. On suit donc les mutations du virus à la trace, et les experts ont une bonne idée de son évolution.

Il s’avère qu’à ce jour, Sars-CoV-2 mute peu. Entre les premiers virus séquencés à Wuhan et les échantillons qui circulent actuellement en Europe, on décompte une dizaine de mutations d’écart… Il faut rapporter ce chiffre aux plus de 30'000 bases (les «lettres» A, T, G, C) de l’imposant génome du nouveau coronavirus (c’est deux fois plus que celui de la grippe, par exemple).

Didier Trono, directeur du laboratoire de virologie de l’EPFL et responsable du groupe de travail sur le dépistage de Covid-19 au sein de la task force suisse:

«Entre la Chine et l’Italie il y a eu de l’ordre de cinq ou dix changements sur 30'000 positions. Ce sont en plus des modifications mineures, qui ne changent pas grand-chose aux protéines concernées. Par rapport à d’autres virus il a été d’une constance remarquable, alors qu’en se propageant à travers 1,2 million de personnes, il avait tout le loisir de muter.»

… et moins que la grippe. L’épidémiologiste américain Trevor Bedford s’est fait connaître en coordonnant la plateforme Nextstrain. Le 28 mars dernier, sur Twitter, il confirmait que le taux de mutation observé dans Covid-19 n’avait, en l’état des données, rien d’exceptionnel.

En effet, Sars-CoV-2 affiche pour l’heure autour de 25 mutations par an, tandis que les souches de grippe saisonnière ont un taux assez constant d’environ 50 mutations par an.

En vue d’un vaccin. Le nouveau coronavirus (Sars-CoV-2) est pour l’heure confronté à un environnement favorable: une population non immunisée, chez qui n’existe pas de traitement efficace. La pression sélective est donc faible, ce qui ne favorise pas l’apparition de mutations. Cela devrait changer. Il est aussi possible que le virus ait la capacité de se recombiner (mélanger les génomes de plusieurs souches) au sein d’un même hôte, de façon à produire de la variété génétique.

On ne peut donc formellement exclure l’apparition de mutations conséquentes dans un futur plus ou moins lointain. Deux risques principaux:

  • rendre le virus plus pathogène ou accentuer sa contagiosité,

  • permettre au virus d’échapper à un futur traitement ou vaccin.

La perspective que le virus puisse échapper facilement à un vaccin n’est pas à exclure, et c’est sans conteste la plus funeste au plan épidémiologique. Mais ce risque doit être relativisé. Didier Trono:

«Si on a une mutation pile à l’endroit que les anticorps neutralisants ciblent, on est embêté (car le vaccin devient inopérant avec la nouvelle souche, comme pour la grippe, ndlr). Mais il semble que cette région-là (le RBD de la protéine S) soit peu flexible. On a donc tout lieu de penser que le vaccin pourrait marcher.»

Récapitulons le raisonnement. Pour infecter son hôte, le nouveau coronavirus emploie une protéine dite S (un «spicule») capable de se lier à des récepteurs (ACE2)  exprimés à la surface de certaines cellules humaines. Plus précisément, la reconnaissance se fait via le domaine de liaison de la protéine S, comme une clé avec une serrure. Or la portion du génome viral correspondante (dite RBD, receptor binding domain) est très stable, sans doute parce qu’elle est au cœur de la capacité du virus à se répliquer.

Par chance, il s’avère que les anticorps produits par les personnes infectées pour se défendre contre le coronavirus ciblent précisément le domaine de liaison de la protéine, très peu à même d’évoluer. Il devrait donc en aller de même d’un futur vaccin.

Un virus à réservoir humain. Autre élément défavorable à une évolution accélérée du nouveau coronavirus: pour l’heure, celui-ci semble prospérer au sein de la seule espèce humaine. Il est certes capables d’infecter les chats et quelques autres espèces, mais pas de se répliquer efficacement chez eux, pour autant qu’on sache.

Didier Trono:

«Si vous avez un virus, comme celui de la grippe, qui se ressource dans d’autres espèces animales tous les ans, vous n’allez pas pouvoir vacciner tous les poulets et les cochons du monde. Mais si on a un virus qui a finalement fait son choix pour l’espèce humaine, comme ce semble être le cas, on peut se dire qu’avec un vaccin on pourra l’éradiquer.»

C’est par exemple le cas de la variole, déclarée éradiquée en 1980, et de la rougeole, qui pourrait connaître le même sort si le taux de couverture vaccinal était suffisant.