Le bonheur par les médicaments? L'effarant tour du monde de Happy Pills
L’industrie pharmaceutique a-t-elle pris le relais des religions, de la philosophie, voire des idéologies politiques? Est-ce vers elle que les humains se tournent désormais pour leur salut? Ce questionnement est au cœur de Happy Pills, le très beau documentaire suisse coproduit par Arte et la RTS. Présenté ces jours en avant-première dans toute la Suisse romande, il sera en salles dès jeudi à Lausanne et Genève.
Happy Pills, c’est d’abord l’histoire d’une rencontre entre le photographe canado-néerlandais Paolo Woods et le journaliste et écrivain suisse Arnaud Robert, en 2016 à Haïti. Sillonnant les rues ravagées de Port-au-Prince, les deux ne cessent de trébucher sur des vendeurs ambulants de médicaments. Alors que rien ne fonctionne et que tout est à reconstruire, les pilules de toutes sortes, périmées ou issues de la contrebande, prolifèrent dans la ville comme une algue dévastatrice. Non, les petites pilules colorées n’inondent pas seulement les pays industrialisés. Elles sont partout, même là où l’électricité et l’eau courante font défaut.
Fruit d’une enquête de cinq ans qui a conduit les deux réalisateurs aux quatre coins du globe, Happy Pills brosse le portrait de six individus qui aspirent au bien-être par l’absorption de substances pharmaceutiques. Chacun est en proie à des angoisses qui résonnent avec leurs âges et leurs conditions socio-économiques. Tous tentent de les contrer grâce à des solutions chimiques produites à des fins médicales. Y parviennent-ils? C’est au spectateur de tirer ses propres conclusions.
Survivre. Le premier protagoniste s’appelle Patrick et il est suisse. Il jouit d’une bonne santé, habite dans un logis confortable avec une épouse qui l’aime et le soutient. On l’observe se promener sur des sentiers à la vue époustouflante, jouer au bowling, faire son lit, caresser ses chiens et partager un repas intime mijoté par sa femme. Le climat est serein, les dangers extérieurs sont radiés, mais l’ennemi ne s’est pas pour autant envolé. Il est intériorisé. Malgré sa liberté apparente, Patrick a perdu le goût de la vie. C’est donc pour ne pas se suicider qu’il ingurgite un cocktail d’antidépresseurs et d’anxiolytiques qui le stabilisent vers «un degré de tristesse» qu’il estime supportable.
Le second protagoniste vit dans un village sahélien du Niger. Il s’appelle Alzouma et chaque matin, il se rend dans la capitale pour vendre ses fruits et ses légumes. Les couleurs sont vives et la circulation incessante. Il pousse son chariot de citrons verts sous une chaleur écrasante, puis plus tard, laboure les champs de son village. Alzouma n’est plus dérangé par les grosses perles de sueurs qui roulent le long de ses joues. Son regard est paisible, voire absent. Ce détachement, il le doit au Tramadol, un opioïde qu’il consomme quotidiennement pour anesthésier ses douleurs, tant au niveau psychique que physique. En Suisse, Patrick se drogue pour ne pas se donner la mort, alors qu’au Niger, Alzouma le fait pour continuer sa tâche sans répit.
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