Désormais, c'est l'allégresse chez les «éclairés»: l'hypothèse de l’échappement accidentel refait surface et les complotistes s'écrient: «On vous l’avait bien dit!» Certains vont jusqu'à réclamer la réhabilitation du Pr Luc Montagnier qui, en 2020, avait été perçu comme totalement fantaisiste par ses pairs.
Le problème, c’est qu’il y a mille façons d’avoir raison par hasard, comme lorsque l’on coche au petit bonheur la chance les réponses d’un QCM, pour grappiller quelques points lorsqu’on ne connaît pas la bonne réponse. En multipliant les affirmations vagues et invérifiables, on augmente mathématiquement sa probabilité d’avoir raison — et c’est d’ailleurs ce qui fait la fortune de certains astrologues.
La science procède différemment. Elle reste ici ouverte et n'affirme rien, contrairement aux complotistes qui sont toujours convaincus de leurs propres dires. La science procède par hypothèses, qu'elle valide ou invalide au fur et à mesure. Depuis quelques semaines, les indices renforcent la thèse de l’échappement du virus. Ce sont des scientifiques qui vont tester cette hypothèse et aboutiront peut-être à une preuve. Il en va ainsi de l’évolution des connaissances, parfois faite de tâtonnements, de valse-hésitation, de remise en question. Les complotistes, eux, ne changent jamais d’avis.
Mais tout de même: était-il forcément complotiste d’imaginer, en 2020, que le virus ait pu malencontreusement s’échapper d’un laboratoire? Pascal Wagner-Egger, enseignant chercheur en psychologie sociale et en statistique à l’Université de Fribourg, auteur d’un récent ouvrage sur les théories du complot, rappelait que le principal trait du complotisme est de vouloir expliquer les événements par des intentions humaines cachées et malfaisantes, sans preuves suffisantes. Le raisonnement: s’il y a eu fuite, accidentelle ou pas, il a bien fallu que quelqu’un l’ait voulue ou l'ait couverte. Mais la justice, comme la science, doivent s’appuyer sur des preuves solides. Et tant que la culpabilité n’est pas prouvée, appliquer un principe de présomption d’innocence. L’hypothèse de l’échappement, justement parce qu’elle accuse implicitement toute une chaîne de commandement d’un pays, doit pour l’heure continuer à être manipulée avec la plus grande prudence.
Pourtant, face à une idée nouvelle avancée sans preuve, on ne peut pas suspendre son jugement indéfiniment, au risque d’entrer dans un relativisme dangereux ou tout devient à la fois vrai et faux. Pascal Wagner-Egger me donne un exemple: «Même si la télékinésie ou la télépathie seront peut-être des phénomènes prouvés dans 200 ans, il est plus rationnel, aujourd’hui, de refuser de les admettre, faute de preuve, que de les considérer comme peut-être vraies dans le futur.»
En attendant, on peut continuer, comme le statisticien américain Nate Silver, populaire pour ses prédictions sportives et électorales, de prendre les paris. La cote de l’hypothèse alternative vient de bondir, mais c’est peut-être un autre cheval qui terminera en tête. Et à la fin, même si cela prend des années, c'est la science qui gagnera. Tout simplement parce qu'elle cherche la vérité et reconnaît ses erreurs. Tout le monde ne peut pas en dire autant.