«La dysphorie de genre, même si ce n’est pas le cancer, ça pousse des jeunes au suicide»

Pre Samia Hurst, bioéthicienne et médecin aux HUG, lors de la conférence sur l'autodétermination des jeunes samedi 8 octobre à Genève, lors du Colloque international Santé Trans*. | CIST22

Que ce soit dans le domaine de la prévention, des connaissances scientifiques, des diagnostics ou des traitements, les biais de genre restent malheureusement encore trop nombreux. Pour la 5e édition du Forum Santé, Le Temps et Heidi.news ont décidé de se pencher sans tabous sur ces questions pour mieux les comprendre et contribuer à les déconstruire. Le conseiller fédéral Alain Berset viendra par ailleurs répondre à vos questions.

Exceptionnellement, cet article est proposé gratuitement dans le cadre du Forum Santé qui a lieu le 3 novembre à l’UniL. Evénement gratuit, sur inscriptions.

Quatre jours pour évoquer la santé des personnes trans. C’est ce à quoi étaient invité les professionnels de la santé et le grand public du 5 au 8 octobre à Genève pour le premier Colloque international Santé Trans*. A l’heure du bilan, 270 personnes ont participé à la vingtaine de conférences et débats. Un succès qui a permis d’évoquer les besoins des communautés trans en Suisse et aussi d’entendre leurs revendications.

Pourquoi on en parle. L’objectif du colloque était avant tout de «créer un réseau de compétences autour des professionnels de la santé et des associations se penchant sur les questions de santé des personnes trans», relève Lynn Bertholet, présidente de l’association d’intérêt public Epicène, organisatrice du colloque. Histoire d’améliorer durablement la prise en charge de ces personnes. Le succès étant au rendez-vous, et les enjeux autour de ces questions nombreux, il est prévu à l’avenir de créer un événement romand tous les deux ans.

De quoi on parle. Lorsque l’on évoque la santé des personnes trans, le plus souvent c’est pour se concentrer sur les différentes phases de la transition. Mais la prise en charge médicale globale de ces patients ne se résume pas à cette seule étape. Et si «la médecine progresse, comme le reconnaît aisément Lynn Bertholet, la prise en charge est encore très souvent déficiente».

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Et certains besoins ne sont pas du tout pris en compte. Ainsi, au niveau chirurgical, le potentiel d’amélioration est important. Jeudi 6 octobre, plusieurs conférences ont été consacrées aux pratiques chirurgicales des réassignations et suivis postopératoires. Les bonnes pratiques ont été mises en avant, sans réussir à masquer ce qui manque en Suisse: un ou deux véritables centres spécialisés. Lynn Bertholet:

«Avec une dizaine, voire une quinzaine d’opérations de réassignation par an, les chirurgiens qui opèrent dans le pays ne pratiquent pas assez. En créant un centre spécialisé, voire deux mais pas plus, on pourrait clairement améliorer ce type d’interventions chirurgicales.

Il y a évidemment la question de la barrière linguistique qui doit être évaluée, mais les personnes en transition sont prêtes à faire des kilomètres et à ne pas forcément maîtriser parfaitement la langue, si la prise en charge est bonne, plutôt que d’aller en Thaïlande ou en Amérique du Nord.»

La présidente d’Epicène se bat pour que ce sujet percole au niveau politique, auprès des médecins cantonaux, et que le sujet soit concrètement empoigné par les ministres romands de la Santé.

Au-delà du médical. Les questions de transidentité sortent également du champ purement médical, et le colloque a été l’occasion d’aborder certains thèmes plus sociaux et notamment éthiques.

L’autodétermination est ainsi un élément central pour les personnes trans. Au niveau médical, tout patient a droit à l’autodétermination, qu’il souffre d’un handicap ou qu’il soit âgé. En santé sexuelle, il en va de même. Mais lorsqu’il s’agit de transidentité, l’autodétermination déraille, un peu et parfois beaucoup. Surtout lorsqu’il s’agit d’une personne mineure. Lynn Bertholet:

«Le sujet de l’autodétermination a attiré pas mal de monde samedi après-midi (le 8 octobre, ndlr.). Pour certains, il faudrait interdire aux jeunes d’entamer une transition médicamenteuse et bénéficier d’une intervention chirurgicale. Chez Epicène, on pense qu’il est important de respecter le droit à l’autodétermination des jeunes aussi.

Surtout qu’il n’existe pas d’arguments scientifiques contre l’approche trans affirmative. Et que la dysphorie de genre (détresse cliniquement significative ou altération fonctionnelle associée à une incongruence entre le sexe expérimenté/exprimé et le sexe attribué à la naissance, ndlr.), même si ce n’est pas le cancer, pousse des jeunes au suicide si ce n’est pas pris en charge.»

Enfin, les questions transidentitaires concernent également les proches et la famille. Les jeunes en transition poussent forcément à prêter attention aux parents, à leurs réactions. Il s’agit également de répondre à leurs questions, leurs inquiétudes, leurs interrogations et les accompagner. Mais les transitions concernent également les parents. Et quel soutien est apporté aux enfants dont l’un des parents est trans? Lynn Bertholet sourit en évoquant une anecdote touchante:

«Dans le public, lors de la table ronde consacrée au soutien de la famille et des proches de personnes trans, un parent était présent et soutenu par ses deux filles. L’une d’entre elles a eu ces mots touchants pour témoigner de la situation familiale: “A l’école je parle de mon papa, mais je dis elle.”»

Dans la bouche d’une enfant, la transidentité prend les contours sereins de la normalité.