Alain Berset rêve de récolter les fruits de son action

Annick Chevillot

L’homme d’Etat qui s’assied en face de nous mercredi est optimiste et fier de son action depuis un an. Bien sûr, la page Covid n’est pas tournée. Le vaccin a pourtant ce pouvoir de délester le chef du Département fédéral de l’intérieur d'un lourd fardeau, qu’il ne montre pas. La gestion de l’épidémie a laissé peu de traces sur le conseiller fédéral. Il a la pêche!

S’il a souvent parlé de lumière au bout du tunnel, c’est peut-être parce qu’il a pris toute la lumière ces derniers mois. Au point d’effacer de nombreux autres acteurs de la politique fédérale. Il incarne la lutte contre le Covid plus que tout autre sur l’échiquier. De quoi tendre les échanges avec les partis, le Parlement, les cantons. La gestion de la crise a nécessité une action forte et rapide de l’exécutif, reléguant les autres organes au second plan. Impossible de s’appuyer sur le législatif et ses lenteurs lorsqu’il faut agir vite et le moins mal possible. Le débat public s’est effacé devant les messes publiques du mercredi réunissant un, deux, trois voire quatre conseillers fédéraux.

«Il y a un an, alors que nous étions en train de choisir et d’acheter les vaccins, personne ne posait de questions à ce sujet au Parlement», a souri le Conseiller fédéral. Reste à savoir qui avait connaissance des tractations en cours alors, la stratégie d’achat de vaccins et les négociations étant tenues secrètes.

Les partis aussi peinent à exister dans ce contexte. Le ministre le sait bien, lui qui a géré la crise comme une question de santé publique, au pas de charge. Le Covid a révélé les forces et les failles du fédéralisme. Il a aussi donné une aura nouvelle au Fribourgeois. Très critiqué, qualifié de dictateur, menacé, insulté, il est désormais tenté de se donner un blanc-seing. Il peut s’enorgueillir d’avoir réussi à protéger son pays face à un ennemi invisible et dans de forts vents contraires.

Le pouvoir isole, la gestion de crise encore davantage. A-t-il pris la mesure de la fatigue de toute une population, des doutes sur les mesures prises, parfois contradictoires, du risque d’impopularité? Pas sûr. La grogne des partis? Une instrumentalisation politique. La grogne populaire? Un épiphénomène. Les tensions avec les cantons? Normal en temps de crise. Le référendum contre la loi Covid? Une jacquerie qui n’atteindra pas le Conseil fédéral.

Les erreurs, les échecs, l’état d’impréparation flagrant de l’OFSP au début de l’épidémie ont tendance à être minimisés sur l’autel de la réussite à venir. Alain Berset fait un peu penser à ces agriculteurs qui, ayant travaillé avec acharnement pour obtenir une belle récolte, s’apprêtent, satisfaits, à cueillir les fruits du labeur.

La Suisse se vaccine, le risque que l’épidémie fait courir sur le pays s’éloigne, on tombera bientôt le masque. Pour ma part, je rêve de divorcer du Covid, alors qu’Alain Berset, lui, semble sortir galvanisé de la crise. «Cette expérience est passionnante et extrêmement intéressante», dit-il. En 2022, il fêtera ses dix ans au Conseil fédéral et ses 50 ans tout court, mais rien ne le pousse vers la sortie. Il veut être là pour recueillir les louanges. Il sera donc aussi là pour assumer ses responsabilités.

Mais l’heure n’est pas encore au bilan. Il reste au moins trois obstacles à franchir: la loi Covid soumise au peuple le 13 juin, l’introduction du certificat d’immunité en Suisse et la stratégie d’assouplissement des mesures. Trois sujets sensibles sur lesquels il a accepté de s’exprimer sans économie de détails.

Pour lire l'entretien avec Alain Berset, c'est par ici: «Pourquoi devrais-je démissionner?»