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Harcèlement antivax: des médecins romands témoignent après un suicide en Autriche

Pixabay / Geralt

Elle a été retrouvée dans son cabinet, avec trois lettres d’adieu. Le suicide de la Dre Lisa-Maria Kellemayr secoue l’Autriche. Cette médecin généraliste, devenue dans son pays une figure médiatique de la pandémie, a subi un harcèlement intense et des menaces de mort, pour sa défense de la vaccination notamment. A 36 ans, le vendredi 29 juillet, elle s’est donnée la mort dans son cabinet de Seewalchen, en Haute-Autriche. En Suisse romande, les responsables de santé publique sont sous le choc. Cinq d’entre eux témoignent de leur propre expérience.

Un suicide évitable? Le quotidien autrichien Der Standard dresse le portrait d’une généraliste dévouée, qui décide de porter une parole claire pendant la pandémie et en paie le prix fort — jusqu’à des patients qui viennent à son cabinet munis de couteaux. Il souligne aussi le faible soutien des autorités publiques, ainsi que sa situation financière difficile: après avoir dû fermer son cabinet un temps, elle a dû s’endetter pour en assurer la sécurité à ses frais. Pour finir, le journal se fait cinglant:

«Les détracteurs anonymes sont dangereux, beaucoup d’entre eux sont violents. Mais ce ne sont pas des gens courageux. Ils se cachent souvent derrière leur profil. Il en faudrait pas grand-chose pour que les autorités les remettent à leur place. Ce pas grand-chose n’a jamais eu lieu.»

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La Dre Lisa-Maria Kellermayr, en avril 2021. | Keystone / APA / Hermann Wakolbinger

Les témoignages. Heidi.news a souhaité faire réagir des médecins romands très exposés durant la pandémie, du fait de leurs responsabilités ou de leurs prises de position publiques. Toutes les personnes contactées ont accepté de nous parler de leur expérience personnelle, l’une d’entre elles en restant anonyme. Nous vous livrons leurs témoignages tels quels.

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«Quand un médecin met fin à ses jours, c’est toujours dramatique. Depuis que j’exerce, j’ai au moins une dizaine de collègues qui se sont suicidés… Il y a le drame individuel et, aussi, ce que ça représente comme perte de compétences pour la société. A chaque fois qu’on perd un médecin, c’est idiot.

La problématique du suicide dans le corps médical est identifiée et étudiée de longue date. En Suisse, la FMH a mis en place un dispositif de soutien il y a une quinzaine d’années (voir encadré). Les psychiatres expliquent qu’à un moment donné, pour ces médecins, souvent en proie à un épuisement professionnel et une désagrégation de la vie privée, la mort semble la seule option pour faire cesser l’intolérable – le harcèlement dans le cas de la Dre Kellermayr. La plus grande menace pour les professionnels de santé, c’est la solitude. Seuls, on rumine, on tourne en rond jusqu’à ne plus voir d’issues.

«Je suis sur une liste d’auteurs de crimes contre l’humanité…»

En Suisse, certains professionnels sont harcelés depuis le début de la pandémie. J’ai moi-même découvert l’autre jour sur Twitter que j’étais sur une liste d’auteurs de crimes contre l’humanité… Ce que je peine à comprendre, c’est pourquoi des fadas allument gratuitement des professionnels alors que nous sommes dans un état de droit. Si quelqu’un est convaincu qu’un médecin est problématique, il peut le dénoncer aux autorités de surveillance. Pourquoi est-ce qu’ils n’utilisent pas les voies habituelles pour instruire cela – sans passer par Twitter et des menaces personnelles?

Ne soyons pas naïfs, on voit bien, avec la guerre en Ukraine, que cette haine peut être instrumentalisée et servir à déstabiliser une société. On ne parle pas seulement de quelques fadas sur les réseaux… A Neuchâtel, les questions de sécurité sont prises très au sérieux. Je trouve que nous sommes très bien conseillés. Notre job, c’est la santé, la sécurité on la laisse à ceux dont c’est le métier. J’ai une grande confiance dans leur appréciation.

«Calmons-nous»

Comment faire mieux collectivement? Lisons, ou relisons, La Peste d’Albert Camus. J’y suis beaucoup revenu récemment. C’est vraiment en phase avec ce qu’on vit. Dans la fiction, comme chez nous, on voit qu’il y a une phase médicale, puis politique et enfin sociétale, avec une population en ébullition. Je constate que nous devons passer par ces phases et que la seule réponse, en tant que médecin, c’est de rester professionnel, d’expliquer et aussi, peut-être, de calmer le jeu. C’est une épidémie assez sérieuse, mais enfin, il y avait des scénarios bien pires. Calmons-nous.

Camus dit que la peste ne disparaît jamais et peut revenir sous différentes formes. Nous avons eu “la peste Covid-19”. Maintenant, la peste, c’est tous ces mouvements de haine qui sabotent la société.»


Un ReMed en cas de crise
Manque de motivation, surmenage, burnout, traumatisme, dépression, dépendance ou pensées suicidaires… Les médecins sont soumis à de telles pressions qu’il n’est pas rare que leur santé en soit affectée. En Suisse, le réseau ReMed soutient les médecins qui traversent une période de crise, notamment par des entretiens entre pairs, du mentoring et des groupes de parole. En cas de besoin, pour soi ou un confrère, ReMed est joignable 24/24h (0800 0 73633, remed@hin.ch).

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«Je trouve le sujet très concernant, c’est préoccupant de voir que pour échapper à une menace de mort, une personne se donne la mort. Ce que j’ai vécu n’a heureusement rien à voir avec ça. J’ai promu la vaccination, beaucoup parlé du sujet, mais je n’ai pas du tout fait l’objet du même type de réactions que cette pauvre dame en Autriche. On peut aussi noter que c’est un pays qui a fait le choix de l’obligation vaccinale – et je reste convaincue qu’il est très bien que la Suisse ne soit pas allée jusque-là.

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