Des cobayes sous observation au Parlement

Claude-François Robert

Claude-François Robert est le médecin cantonal du canton de Neuchâtel. A la demande de Heidi.news, il a accepté de commenter les résultats de notre enquête sur le port du masque par les Conseillers nationaux au Parlement fédéral.

Il est amusant de décrire une assemblée de cobayes parlementaires mis sous cloches et sous observation de leur comportement. Méthodologiquement, l’étude me semble bien construite. La loi sur la recherche humaine est peut-être négligée. Les sujets n’ont pas donné leur consentement éclairé, mais il semblait pertinent de les laisser dans l’ignorance de la présence d’observateurs. Ils évoluent au naturel dans leur biotope, chassent, se poursuivent, s’apostrophent, votent accessoirement. Certains sont masqués d’autres pas. Quelle est l’hypothèse de la recherche?

De l’information au changement de comportement

Les décideurs d’une politique publique sont-ils exemplaires quand il s’agit de l’appliquer? On peut présumer que les conseillers nationaux sont des gens bien informés. Ils lisent, débattent de projets de loi, disposent d’un large réseau allant de leurs électeurs à des lobbyistes futés. Certains ont même voté la loi sur les épidémies du 28 septembre 2012. Ils ont aussi sans doute auditionné le directeur de l’OFSP ou même Daniel Koch. Donc, ils savent l’intérêt de la distance sociale et du port du masque. Pourtant, l’article montre une adhésion variable aux fameux «gestes barrières». Même informés, certains se comportent comme l’oncle Bernard, aviné, faisant la bise à toutes ses cousines lors du mariage de tante Katia.

Pourquoi?

Plusieurs explications me viennent en tête par analogie à nos approches de marketing social en promotion de la santé. La pression du groupe est importante pour porter le masque. Elle influence plus que le poids du règlement ou le risque de l’amende. Mais, la posture du rebelle est peut-être un motif de rejet de la «muselière» pour certains.

Enfin, ils sont comme nous, se relâchent, s’oublient, dans le feu de l’action à cause de la fatigue. Alors faudrait-il une signalétique, des rappels à l’ordre depuis le perchoir après chaque coup de sonnette de la présidente?

Faut-il au contraire prévoir des incitatifs, des «nudges», désigner l’élu le plus distant socialement, distribuer des masques avec des cacahouètes, mais comment les manger sans enlever le baillon?

Finalement, l’explication du port ou non port du masque, est-elle purement politique? On l’a vu dans le débat sur la loi sur la prévention, abandonnée par absence d’accord des deux chambres, le clivage entre liberté individuelle et action de santé communautaire est majeur. «L’Etat n’est pas là pour me dire si je dois porter un masque et ne pas manger des röstis au souper», dira un UDC.

Risque mineur ou scénario catastrophe?

En tant que spécialiste en santé publique, j’ai envie de commenter l’éventuelle prise de risque. Des jeunes qui font une fiesta dans une clairière sont-ils plus dangereux que nos élus dans leur Palais ?

Le risque est stratifié selon plusieurs critères : la distance sociale n’est pas toujours respectée dans les travées et en fonction du comportement des plus désinhibés, le port du masque est variable, l’endroit est confiné, les plexyglas n’évitent pas la transmission par aérosols.

Alors… si un député «superspreader», oscillant de groupes en groupes lors de négociations difficiles, saluant des armaillis retraités invités à la tribune du public, complotant à voix basse avec des lobbyistes, susurrant des secrets à une journaliste du Blick, si ce/cette député-e asymptomatique diffusait le virus pendant deux jours… alors, on aurait un cluster inoubliable. Un cauchemar pour cette chère Linda Nartey, la médecin cantonale bernoise, mais une publication de renommée internationale pour les scientifiques de la task force scientifique de la Confédération.