Dépistage de Covid-19: entre incohérences et mesures nécessaires

Philippe Eggimann

Le Dr Philippe Eggimann, président de la Société médicale de la Suisse romande (SMSR) et de la Société vaudoise de médecine (SVM), revient sur les incohérences de la stratégie de dépistage, ainsi que l'utilité et les limites des mesures d'hygiène en place. Ce point de vue fait contrepoint à celui du Dr Jean-Charles Estoppey, que nous publions en parallèle.

Plusieurs médecins pointent les «incohérences» de la stratégie de traçage appliquée jusqu’à présent. Ils ont raison sur de nombreux aspects, des adaptations ont été faites et d’autres sont encore souhaitables:

Où on s’est trompé

  • Dans un premier temps, on a pensé que le traçage serait suffisant pour casser les chaînes de transmission du coronavirus dans les clusters où la distanciation, le masque et l’hygiène des mains ne sont pas exigés, notamment dans les milieux festifs. Cette stratégie a été corrigée depuis, et c’est tant mieux.

  • Actuellement ne sont dépistées que les personnes présentant des symptômes et placées en quarantaine. Ce qui ne permet pas de détecter les pré-symptomatiques et les asymptomatiques (entre 40% et 60% des cas), dont une partie est contagieuse. Il est nécessaire que la stratégie soit affinée et uniformisée. A mon sens, elle devrait se baser sur l’avis des experts de la task force scientifique de la Confédération, et mise en œuvre par les médecins cantonaux sur décision des politiques.

Où on peut mieux faire

  • Idéalement, il faudrait tester tous les contacts de personnes testées positives et mis en quarantaine au moins à deux reprises. A savoir, à j+3-5 après contact, puis à j+10-14 avant la levée de la quarantaine.

  • Il serait nécessaire, comme le suggère le virologue de l’EPFL Didier Trono, de tester toutes les personnes placées en quarantaine 7 à 10 jours après le contact, ce qui permettrait de lever lesdites quarantaines plus tôt, lorsque c’est possible.

  • La durée des quarantaines pourrait être réduite, comme le proposent certains politiciens, mais ils doivent alors en assumer le risque résiduel et le communiquer. Ce risque pourrait être mieux documenté en recueillant et en analysant de manière systématique les données des dépistages effectués parmi les personnes placées en quarantaine.

Où on doit agir

  • Les médecins installés sont prêts à assumer une partie du travail de dépistage et de traçage des contacts auprès de leurs patients.

  • De plus, le traçage pourrait être mutualisé lorsque le bureau du médecin cantonal risque d’être débordé.

Ces questions interpellent les médecins de ville parce qu’ils constatent les incohérences, sans pouvoir toujours agir pour les corriger. Il en va de même pour la stratégie de prévention mise en place par l’OFSP.

Les masques, comme l’hygiène des mains et la distance physique, représentent les piliers les plus importants pour diminuer le risque de transmission du coronavirus. Mais ces mesures ont également leurs limites:

  • Comment respecter 1,5 mètre de distanciation dans la vie courante?

  • Avec les maladies respiratoires de l’automne et de l’hiver, le 1,5 mètre de distance ne suffira pas à protéger la population en cas d’éternuement ou de toux, sans le port du masque obligatoire.

Pour ce qui est des personnes vulnérables, je constate simplement que les EMS ayant appliqué la quarantaine des nouveaux entrants et le dépistage systématique des résidents et du personnel s’en sont bien tirés ce printemps.

Il faut saluer l’effet positif des mesures prises dans la deuxième quinzaine de septembre et leur application par la population, qui se traduisent par une diminution des cas. J’espère que les médecins continueront à se questionner sur ces incohérences, sur les adaptations et les améliorations à mettre en place dans la stratégie de lutte contre le coronavirus. Le débat actuel est d’autant plus sain qu’il permet d’améliorer nos stratégies de réponses face à l’épidémie.