Cinq décès en Suisse après un vaccin Covid-19: pourquoi ce n’est pas très inquiétant

Vaccination d'une dame de 90 ans dans le canton de Lucerne, le 23 décembre 2020. | Keystone / Urs Flueeler

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SwissMedic a dévoilé son premier rapport de pharmacovigilance sur les vaccins Covid-19. Sur 170'000 vaccinations au 21 janvier, on dénombre 16 effets indésirables graves et 5 décès de personnes âgées. On ignore si ces décès, qui ont eu lieu dans les heures ou les jours suivant une injection, sont dus aux vaccins ou à des causes annexes. Pour l’agence réglementaire, il n’y a pas lieu de s’inquiéter et le rapport bénéfice-risque favorable des vaccins reste inchangé.

Pourquoi ce n’est pas alarmant. La survenue de décès dans la foulée des campagnes est inévitable, dès lors que l’on vaccine à grande échelle et chez une population fragile. SwissMedic rappelle ainsi que 2300 personnes de plus de 85 ans décèdent tous les mois en Suisse. Tout l’enjeu consiste à savoir si ces décès sont de simples coïncidences ou non. En l’état des données, l’agence suisse estime qu’il n’y a pas lieu de soupçonner un effet des vaccins. C’est du reste le constat des autres agences dans le monde.

Les chiffres. La Suisse a commencé à vacciner dès le 23 décembre dans certains cantons, et officiellement le 11 janvier. À date du 21 janvier, sur 170’000 personnes vaccinées, SwissMedic dénombre:

  • 42 déclarations d’effets indésirables;

  • dont 26 sont des réactions légères, déjà identifiées dans les essais vaccinaux,

  • et 16 ont trait à des effets indésirables graves, parmi lesquels cinq décès.

Les cinq décès concernent des personnes âgées de 84 à 92 ans, décédées de pathologies «fréquentes dans cette tranche d’âge». Pour l’heure, l’agence réglementaire exclut un rôle causal des vaccins:

«Malgré la proximité temporelle entre l’injection du vaccin et le décès, on ne peut concrètement, dans aucun de ces cas, soupçonner la vaccination d’être la cause du décès.»

Les informations précises n’ont pas été divulguées par l’agence règlementaire suisse – dans l’optique de ne pas porter atteinte à l’anonymat des personnes concernées ou de leur entourage, précise-t-elle à Heidi.news.

Corrélation et causalité. Toute la difficulté du suivi de pharmacovigilance consiste à établir un lien de causalité entre l’intervention (l’injection d’un vaccin Covid-19) et l’événement rapporté, de type effet indésirable grave ou décès. C’est d’autant plus vrai lorsque les vaccins sont administrés à des personnes âgées et malades pour qui la probabilité de décès est déjà élevée – ce qui est le cas avec la campagne actuelle, ciblée sur les EMS et les personnes de plus de 75 ans.

L’agence suisse des produits thérapeutiques rappelle ainsi que 2300 personnes de plus de 85 ans décèdent tous les mois en Suisse. Les deux doses de vaccin étant espacées de 3 semaines environ, il est inévitable de constater des décès ayant un lien temporel – mais pas nécessairement causal – avec les vaccinations Covid-19. SwissMedic:

«Pour des raisons purement statistiques, on peut s’attendre à ce que la vaccination de ce groupe de personnes globalement à risque dans un délai court soit nécessairement liée à un certain nombre de cas de décès ayant un lien temporel avec l’injection du vaccin contre le Covid-19.»

L’épidémiologiste Blaise Genton (Unisanté), responsable médical de la campagne de vaccination vaudoise, à l’occasion d’un échange préalable avec Heidi.news:

«Quand on vaccine en EMS, la probabilité de mourir d’une femme de 90 ans dans la semaine est de 2,5 pour mille. Si on vaccine 1000 personnes, on aura 2 à 3 morts par coïncidence. C’est ce qui arrivé à Lucerne, en lien peut-être un antécédent de grosse réaction au vaccin contre la grippe. On va avoir des décès après la vaccination, par pure coïncidence.»

Alessandro Diana, pédiatre à la clinique des Grangettes (Genève) et spécialiste en vaccinologie, indique n’avoir aucune inquiétude au regard des informations disponibles à ce jour:

«A chaque fois qu’on a introduit un nouveau vaccin, le reporting explose. Il y a de tout! Parce qu’on surveille comme du lait sur le feu et qu’on est obligé de signaler. Si un patient nous dit «j’ai les cheveux roses à cause du vaccin», on est presque obligés de signaler.»

Dans l’absolu, il n’est pas exclu qu’un vaccin puisse induire un décès chez une personne en état de grande fragilité, via une fièvre sévère ou un choc allergique (environ 1 cas sur 100’000 d’après le CDC américain). Mais l’histoire de la vaccination montre que les évènements fatals sont excessivement rares.

Dans tous les cas, le choix de proposer la vaccination repose, non sur une absence totale de risque, mais sur une balance bénéfices-risques favorable.

La pharmacovigilance en Suisse. En Suisse, les effets indésirables de tout produit de santé doivent être remontés à SwissMedic par les professionnels de santé s’ils font face à un cas jugé inédit ou inquiétant, ou si les patients le leur demandent. Ils disposent pour cela d’un système de déclaration en ligne baptisé Elvis, ou de formulaires PDF ou papier.

Cette obligation formelle n’est en général pas très suivie dans les faits: par comparaison avec les autres pays, SwissMedic estime que seuls 20% des effets indésirables susceptibles de donner lieu à une déclaration sont effectivement rapportés en Suisse.

Les campagnes de vaccination Covid-19 n’ont pas fondamentalement changé la donne. En pratique, ce sont les médecins responsables des centres de vaccination ou des équipes mobiles qui se charge de déclarer à SwissMedic les éventuels événements préoccupants.

La Pre Claire-Anne Sigriest, directrice du centre de vaccination des HUG, indique que la task force, dont elle est membre, n’a pour l’heure pas vocation à s’emparer de la pharmacovigilance des vaccins Covid-19:

«À ce jour, vu le faible risque que la Suisse soit la première à identifier des effets secondaires inattendus, étant donné sa petite taille et la prudence ou la lenteur relative des campagnes de vaccination, cet aspect ne fait pas partie des préoccupations de la task force.»

Dans le monde. On dénombre plusieurs dizaines de décès post-vaccination Covid-19 dans le monde, où des millions de personnes ont déjà été vaccinés. Aucun pays n’a encore fait état de signaux inquiétants. A ce jour, seule la Norvège a modifié ses recommandations suite à la détection de 33 décès post-vaccinaux, afin de d’inviter les médecins à évaluer l’opportunité de vacciner les personnes âgées très fragiles ou malades. Il s’agit d’une simple précaution, l’agence norvégienne du médicament estimant par ailleurs que les données disponibles ne permettent pas d’incriminer les vaccins.

La France vient de diffuser un premier rapport très complet, portant sur 135 événements indésirables rapportés chez 388'730 personnes vaccinées. Elle dénombre 9 cas de décès au 19 janvier 2021, qui concernent tous des personnes de plus de 85 ans avec d’importantes comorbidités (démence, infarctus, épilepsie, état fragile ou grabataire…). Aucun n’a été considéré comme lié au vaccin.

La probabilité de mettre en évidence un signal clair augmentant avec le nombre d’effets indésirables analysés, la plupart des agences réglementaires dans le monde rassemblent leurs données. C’est le centre de pharmacovigilance de l’OMS, situé à Uppsala (Suède), qui se charge de les compiler et d’émettre des alertes le cas échéant.

Le Comité consultatif mondial de la sécurité vaccinale de l’OMS vient lui aussi, vendredi 22 janvier, de rendre un premier avis sur la sécurité des vaccins Covid-19, après avoir consulté les experts de l’Agence européenne du médicament (EMA) et du centre d’Uppsala. Conclusion:

«Les retours actuels ne suggèrent pas qu’il y ait une hausse inattendue ou dommageable des décès chez les personnes âgées fragiles, ou de quelque effet indésirable inhabituel que ce soit, à la suite de l’administration de BNT162b2 (le vaccin de Pfizer, ndlr)