Ce n'est pas le moment d'arrêter de suivre l'évolution du coronavirus

Image d'illustration. | Shutterstock / solarseven

La revue scientifique Nature a publié cet article le 23 mars. Heidi.news a été autorisé à traduire et publier gratuitement cette réflexion. L'information a néanmoins un coût, n'hésitez pas à nous soutenir en vous abonnant.

Pour vivre avec le coronavirus, nous ne pouvons pas être aveugles à ses mouvements. Pourtant, au vu du discours et de l'attitude des dirigeants politiques de nombreux pays à revenu élevé, il serait facile de penser que la pandémie de Covid-19 ne vaut plus la peine d'être suivie.

La pandémie a peut-être coûté la vie à plus de 18 millions de personnes, en a handicapé beaucoup d'autres et a ébranlé l'économie mondiale. Pourtant, la surveillance et le signalement des mouvements du virus commencent à ralentir au moment même où un sous-variant hautement infectieux d'Omicron, le BA.2, se répand dans le monde entier et où les taux d’infections et d'hospitalisations augmentent à nouveau.

Ces démantèlements ne sont pas fondés sur des preuves

Ils sont politiques, et ils pourraient avoir des conséquences désastreuses pour le monde. Maria Van Kerkhove, responsable technique Covid-19 à l'OMS, estime qu'il est essentiel que

«les systèmes mis en place pour la surveillance, les tests et le séquençage soient renforcés et non démantelés».

Dans le monde entier, la fréquence des rapports nationaux est passée en dessous de cinq jours par semaine pour la première fois depuis les premiers mois de la pandémie, selon les éditeurs du site internet Our World in Data.

Aux Etats-Unis, les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) continuent de communiquer des données à l'échelle nationale, mais les chiffres relatifs aux décès et aux infections sont moins communiqués en temps réel au niveau local. Tous les Etats, à l'exception de huit d'entre eux, ont réduit la fréquence de communication des données à cinq jours ou moins par semaine. La Floride a annoncé la semaine dernière (mi-mars, ndlr.) qu'elle ne communiquerait plus que tous les quinze jours.

Le tableau de bord de suivi Covid-19 du gouvernement britannique, l'un des plus complets au monde, cesse de mettre à jour les infections, la mortalité, les hospitalisations et les vaccinations le week-end, regroupant les chiffres du samedi et du dimanche dans ceux du lundi. Selon le premier ministre Boris Johnson, cette mesure s'inscrit dans le cadre des plans visant à «vivre avec le Covid».

La tendance à la baisse des rapports est subtile, mais elle reflète d'autres signes de complaisance à l'égard du Covid-19. Le Royaume-Uni, par exemple, ne fournira plus de tests de diagnostic gratuitement. Plusieurs de ses programmes de collecte de données prennent également fin:

  • REACT-1, une étude de longue haleine sur les tests aléatoires, a perdu son financement gouvernemental à la fin de ce mois (de mars, ndlr.).

  • ZOE, une application mobile que les résidents peuvent utiliser pour enregistrer leurs symptômes du Covid-19, a également perdu son financement public.

Toutes deux ont été d'une valeur inestimable pour la recherche et la politique.

Les Etats-Unis et le Royaume-Uni ne sont pas les seuls

Dans de nombreux pays, les sentiments politiques évoluent vers l'adoption d'une «nouvelle normalité». Bien sûr, les budgets nationaux sont mis à rude épreuve, les gouvernements cherchant à augmenter les dépenses publiques pour subventionner le carburant et la nourriture, alors que le monde passe de la gestion de la pandémie à la lutte contre les répercussions mondiales de la guerre en Ukraine.

Mais réduire la surveillance des virus en ce moment est une décision à courte vue. C'est comme arrêter un traitement antibiotique au premier signe d'atténuation des symptômes: cela augmente le risque que l'infection revienne en force. Selon une étude publiée la semaine dernière (mi-mars, ndlr.), le prochain variant pourrait bien être plus dangereux que ceux qui circulent actuellement (P. V. Markov et al. Nature Rev. Microbiol. https://doi.org/hk3q ; 2022).

Les décisions en matière de santé publique doivent être fondées sur les meilleures données disponibles. Réduire la capacité à suivre le virus et à y répondre alors que la majeure partie du monde n'est pas vaccinée rend ces décisions moins fiables. Cela réduira également la capacité des gens à prendre des décisions concernant leur propre sécurité.

Situation exaspérante

Cette situation est d'autant plus exaspérante que le démantèlement des interventions de santé publique s'accompagne souvent de messages selon lesquels les gens devraient désormais décider eux-mêmes des mesures à prendre. Les CDC, par exemple, recommandent aux personnes présentant un risque de complications graves liées au Covid-19 de «consulter leur prestataire de soins» pour savoir si elles doivent porter un masque lorsque les niveaux de transmission communautaires sont «moyens» – au moment même où les données sur la transmission deviennent moins accessibles.

Les chercheurs ont travaillé d'arrache-pied pour mettre à la disposition du public des sources disparates de données sur la pandémie par le biais de plusieurs tableaux de bord célèbres. Des outils tels que

ont permis aux gouvernements, aux entreprises et aux particuliers d'utiliser les meilleures données disponibles pour prendre des décisions.

En réduisant les flux de données qui alimentent ces tableaux de bord, les gouvernements ferment les yeux sur le danger. Si cette tendance se poursuit, la nouvelle normalité ressemblera beaucoup au faux confort de l'ignorance.