«Pour Berne, éditer des livres ou vendre des röstis, c'est la même chose»

Caroline Coutau, directrice des éditions Zoé (photo Eddy Mottaz)

Selon nos informations, peu après la parution de cet article, le Conseil d'Etat genevois a sèchement refusé une aide au secteur de l'édition et de la librairie que portait le chef du Département de la cohésion sociale Thierry Apothéloz.

Caroline Coutau, directrice des éditions Zoé depuis 2011, préside aussi depuis 2019 Livre Suisse, association romande des libraires, éditeurs et diffuseurs. Dans Le Point du jour que lui a confié Heidi.news le 27 mars, elle avait décrit le gouffre qui attend le monde du livre en raison de la fermeture des librairies.

Quel a été l’impact de votre appel via Heidi.news à lire et acheter des livres pendant le confinement, pour sauver libraires et éditeurs?

Enormément de messages de tous horizons, certains de vraies surprises, ça nous a électrisés pendant plusieurs jours. Les libraires de leur côté ont reçu des commandes en nombre.

Les autorités, disons fédérales, ont-elles réagi aussi positivement que les lecteurs?

Rien, pas de réaction.

Rien?

Nous, éditeurs et libraires, continuons d’être exclus des aides culturelles dans le cadre de la pandémie. Nous ne sommes pas dans le package de 280 millions pour la culture votés mardi soir. 

Quel est le problème?

Pour Berne, tout se passe comme si éditer des livres ou produire des röstis en boîte, c’était la même chose. Ils nous proposent des emprunts comme si nous avions la rentabilité d’une économie classique. Les parlementaires avaient pourtant bien compris que ce n’est pas le cas en au moment de la campagne pour le prix fixe du livre, en 2014. Chaque livre est un risque artistique et financier. A l’éditeur de trouver l’équilibre très fin entre son programme éditorial et ses charges. Cela crée une tension saine: il faut vendre nos livres, c’est une nécessité pour survivre, bien sûr, mais aussi une raison de vivre. La littérature suisse doit rayonner dans les librairies comme dans les médias suisses et français, et dans les autres langues en traductions. Elle le mérite plus que jamais.

En quoi livres et röstis sont-ils différents?

Nous consacrons 15% de notre chiffre d’affaires à rémunérer les auteurs, alors que les producteurs de rösti ne cèdent que 8% aux cultivateurs de pommes de terre. Et encore, même si je n’ignore rien des difficultés de l’agriculture, les livres ne se récoltent pas avec un tracteur. Il n’y a pas de rentabilité pour une maison de littérature de création.

Les autorités cantonales sont-elles plus compréhensives?

Pas pour le moment, mais je ne désespère pas. Genève est historiquement une terre du livre, on y comprend mieux le rôle fondamental que joue la littérature de qualité.

Est-ce que le livre a un lobby suffisamment puissant pour défendre ses intérêts?

En Suisse alémanique, oui. C’est plus compliqué en Suisse romande. Depuis le 17 mars, le secrétaire de Livre suisse, notre syndicat de la branche, est littéralement assailli de questions et d’appels au secours de nos membres (une centaine). Nous n’avons qu’un poste et quelque pour représenter ces libraires et éditeurs aux abois.

De quoi aurait vraiment besoin une maison d'édition comme la vôtre? 

D’un soutien financier à fonds perdus.

Zoé est-elle menacée de faillite?

J’ai l’intime conviction que Zoé va s’en sortir. Nous traversons une véritable tempête dont les données changent chaque jour. Mais nous avons de grands auteurs et des partenaires très professionnels. Je connais nos forces et nos chiffres, cela fait deux mois que je ne quitte pas des yeux notre trésorerie. Pour moi, l’essentiel est que les écrivains romands continuent de trouver ici des éditeurs qui les repèrent, les accompagnent et leur permettent d’exister dans toute la francophonie et au-delà, grâce aux traductions.

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