Depuis Genève. C’est un «Dr Tedros» visiblement tendu qui, ce samedi 23 juillet après-midi, a annoncé la nouvelle au monde depuis le siège de l’OMS, à Genève. L’organisation onusienne prend ses responsabilités et déclare que l’épidémie de variole du singe, qui sévit depuis mai dernier dans les pays du Nord, constitue désormais une urgence de santé publique de portée internationale (USPPI), le plus haut niveau d’alerte possible.
Tedros Ghebreyesus, directeur général de l’OMS, en conférence de presse ce jour:
«L’évaluation de l’OMS est que le risque que constitue la variole du singe est modéré au niveau mondial et dans les différentes régions, à l’exception de l’Europe où nous estimons que le risque est élevé. Il y a aussi un risque clair de voir l’épidémie s’étendre encore au niveau international, bien que le risque d’interférence avec le trafic international reste faible pour le moment.»
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La circulation du virus n’a cessé de s’amplifier depuis sa détection début mai au Royaume-Uni. Quelque trois mois après le début de l’épidémie, l’OMS rapporte plus de 16’000 cas répartis dans 75 pays. Avec pour l’heure seulement 5 décès à déplorer.
A ce jour, l’épidémie reste cantonnée à la communauté des hommes ayant des relations sexuelles avec les hommes (HSH), souvent à partenaires sexuels multiples: 98% des cas rapportés cochent ce profil. Quelques cas, très peu, ont été détectés chez des femmes ou des enfants.
Les autres urgences internationales
L’épidémie de variole du singe est la septième à se voir qualifier d’urgence de santé publique de portée internationale (USPPI), après:
la pandémie de Covid-19 en 2022 (USPPI toujours en cours),
la pandémie de grippe H1N1 en 2009,
l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest en 2014,
la résurgence de poliomyélite dans les pays en voie de développement en 2014 (USPPI toujours en cours),
l’épidémie de maladies à virus Zika sur le continent américain en 2016,
l’épidémie d’Ebola en République démocratique du Congo (Nord-Kivu), en 2018-2019.
Pas de consensus. Pourquoi tant de circonvolutions oratoires chez «Dr Tedros», qu’on a connu plus habitué à de retentissants messages durant la pandémie de Covid-19, avec par exemple son fameux «testez, testez, testez»?
L’explication tient au processus interne de l’OMS:
Le comité d’évaluation d’urgence de l’OMS sur la variole du singe, constitué de 14 experts mondiaux en santé publique, était réuni jeudi pour la deuxième fois afin de décider de conseiller ou non au DG de l’OMS de déclarer une USPPI.
Lors de la première réunion, il y a un mois de cela, les experts étaient 11 contre et 3 en faveur d’une hausse du niveau d’alerte. Un consensus avait été atteint pour conseiller de ne pas passer à l’action tout de suite.
Cette fois, après une longue après-midi de délibération, le comité n’a pas été capable de se mettre d’accord. Neuf membres étaient contre la déclaration d’une USPPI, 6 en faveur, et aucun consensus n’a pu être trouvé.
Mais le comité d’experts indépendants n’est pas décisionnaire, comme l’a rappelé Tedros Ghebreyesus:
«Le comité ne décide pas, il donne un avis, et au bout du compte il est de ma responsabilité de décider.»
La direction générale de l’OMS a ainsi tranché en faveur de l’alerte générale, mais se place de ce fait dans une position inconfortable. Tedros Ghebreyesus a d’ailleurs appelé à réviser les dispositions du Règlement sanitaire international pour que le cas de figure (un comité d’experts divisé) ne se reproduise pas.
Le cœur du dilemme. Les discussions du comité d’experts de l’OMS se font à huis clos, mais les enjeux autour de l’épidémie sont désormais assez clairs:
Le virus est en progression importante en Europe et aux Etats-Unis, d’où la nécessité d’accentuer la riposte. Certains experts, comme l’ancien directeur de la FDA Scott Gottlieb, vont jusqu’à penser que les jeux sont faits et que la variole du singe va devenir endémique sous nos latitudes.
Force est de constater que l’épidémie reste pour l’heure cantonnée à la communauté gay, laquelle est aussi en demande de protection. Les leçons de l’histoire et les récentes restrictions des droits des homosexuels font craindre des répercussions négatives, au-delà de l’aspect sanitaire.
S’il n’est pas contrôlé, le virus pourrait, tôt ou tard, se diffuser à d’autres groupes au sein de la population générale, avec le risque de toucher des personnes plus vulnérables et celui de voir le virus muter pour s’adapter à l’homme, avec des conséquences imprévisibles.
Beaucoup d’incertitudes demeurent encore quant au mode de transmission du virus, qu’on sait historiquement capable de se transmettre par contact cutané, surfaces infectées, ou gouttelettes directes, mais qui en l’espèce semble surtout associé à des «relations très intimes», comme le dit pudiquement l’OMS.
D’où une difficulté à calibrer le message de santé publique. «[La situation] est très difficile à communiquer, tout spécialement pour ces communautés inquiètes d’une stigmatisation ou d’un retour de bâton», soupire Rosamund Lewis, responsable de la variole du singe à l’OMS. Dans la bouche de Tedros Ghebreyesus:
«La stigmatisation et la discrimination peuvent être aussi dangereux que n’importe quel virus.»
Les recommandations. En vertu du Règlement sanitaire international de 2005 signé par ses Etats membres, la déclaration d’une urgence internationale (USPPI) donne pouvoir à l’OMS d’émettre des recommandations temporaires (3 mois), juridiquement contraignantes, afin de coordonner une réponse sanitaire mondiale.
Les Etats directement concernés par l’épidémie, comme les pays européens et la Suisse, sont invités à tout entreprendre pour interrompre la transmission interhumaine du virus. Ce qui inclut, au-delà de l’information et d’une stratégie classique de contrôle épidémie (test, traçage, isolement), de vacciner préventivement les personnes à haut risque d’exposition.
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Problème: le seul vaccin utilisable en pratique, l’Imvanex du laboratoire danois Bavarian Nordic, est disponible en quantités très limitées. A ce jour, la moitié seulement des pays concernés par l’épidémie de variole actuelle ont été en mesure de sécuriser l’accès à des doses. C’est le cas de la plupart des pays européens, comme la France ou l’Allemagne, mais pas celui de la Suisse.
Contacté par Heidi.news en prévision de la décision de l’OMS, l’OFSP confirme que des négociations sur le vaccin sont en cours, mais se refuse à lever le voile sur l’avancement ou les interlocuteurs concernés. «Il s'agit d'informations confidentielles qui ne peuvent pas être divulguées pour le moment».