Affaire Morel: les contre-vérités du chirurgien sur le plateau de Léman Bleu

Philippe Morel sur le plateau de Léman Bleu, le 21 avril 2023. | Capture d'écran

En interview vendredi 21 avril sur la chaîne de télévision genevoise Léman Bleu, le Dr Philippe Morel a donné sa propre version des faits qui lui sont reprochés sur la transplantation d’un foie en 2006 sur un riche patient émirati. Heidi.news s'est penché sur ses déclarations, qui vont à l'encontre de plusieurs éléments établis par notre enquête.

Nos révélations sur le Dr Philippe Morel, chirurgien et candidat au Conseil d’Etat genevois, ont suscité de vives réactions, y compris du principal intéressé. Le 21 avril 2023, sur le plateau de la télévision locale Léman Bleu, il a livré sa ligne de défense, niant et réfutant plusieurs éléments clés de l’enquête de Heidi.news.

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Pourquoi cette vérification. La version donnée par le chirurgien genevois tranche avec les documents que nous avons pu nous procurer et les pratiques alors en vigueur aux HUG, tel qu’il ressort des témoignages. Voici les principaux points de divergence, et les éléments factuels qui viennent à l’appui de notre version des faits.

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La transplantation

Philippe Morel, sur le plateau de Léman Bleu:

«Je suis très soulagé du communiqué officiel de Swisstransplant (...) qui dit clairement que cette transplantation que nous avons pratiquée – parce que c’est toujours une équipe – était parfaitement justifiée.

Il est évident que cette accusation survenant 17 ans après un soi-disant fait et survenant quelques jours avant une votation à l’exécutif déterminante pour laquelle je suis candidat est un montage. C’est d’abord pour moi une peine énorme. C’est évidemment une attaque au-dessous de la ceinture, c’est odieux. C’est une calomnie inacceptable, surtout actuellement en ayant le verdict de Swisstransplant et l’absence totale d’accusation.»

Vérification. La prise de position de Swisstranplant n’est pas un verdict en faveur de la version de Philippe Morel, ni le résultat d’une enquête approfondie. Le communiqué dit bien que «la transplantation pouvait être qualifiée de judicieuse sur le plan médical», mais cela ne concerne pas la procédure d’attribution du greffon dont il est ici question. Il n’est dès lors, et sur la seule base de ce communiqué, pas possible d’affirmer que l’enquête de Heidi.news est une «calomnie inacceptable».

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Personne ne voulait de ce foie

Philippe Morel, sur le plateau de Léman Bleu:

«Moi, ce que je peux vous dire de manière certaine, c’est que le centre de Berne avait refusé cet organe. Il faut préciser que c’était un organe qu’on nomme “marginal”. C'est-à-dire que vu les conditions du décès du donneur, cet organe a été endommagé. Et puis, au moment où j’ai décidé de le transplanter, malgré cette situation et pour un patient tout à fait particulier – puisque cet organe selon les règles suisses ne pouvait pas être transplanté à un receveur résident en Suisse – eh bien, j’ai téléphoné à Zurich pour obtenir la certitude qu’ils ne le voulaient pas, les informant que moi j’allais le transplanter. Donc, une transplantation médicalement justifiée et opportune, et évidemment que les accusations dont je suis victime sont parfaitement inadéquates.

Au moment où nous avons reçu le foie à Genève, il est évident que dans cette situation marginale, il fallait le transplanter très rapidement et même si nous avions su à ce moment-là qu’il y avait un receveur à Zurich, ce que je conteste formellement, nous n’aurions pas pu transférer ce foie à Zurich. Le délai était beaucoup trop grand et le foie n’aurait assurément pas marché.»

Vérification. Le protocole de coordination consulté mentionne à 17 h 30 que c’est une équipe genevoise qui sera envoyée pour effectuer le prélèvement d’organe. A 17 h 32, le protocole ajoute: «Le sang pour faire la sérologie arrivera dans les 15 prochaines minutes à Zurich. Le Prof. Morel prend le risque de ne pas attendre le résultat avant le début du prélèvement et désire envoyer les chirurgiens (...) avant les résultats de la sérologie». C’est donc aussi une équipe de chirurgiens zurichois qui avait été alertée concernant le donneur. Mais Philippe Morel a décidé d’envoyer une équipe genevoise avant même les résultats de cette sérologie.

Par ailleurs, selon le même protocole, le médecin zurichois a appelé le médecin genevois ayant procédé au prélèvement avant que le foie ne parte à Genève et l’a réclamé pour Zurich. Sa demande n’a pas été respectée.

Enfin, les allégations de Philippe Morel sur l’organe («cet organe selon les règles suisses ne pouvait pas être transplanté à un receveur résident en Suisse») demanderaient à être justifiées. Le protocole de coordination mentionne un accord entre Philippe Morel et Swisstransplant disant que le foie pouvait être transplanté à un résident suisse à Zurich.

Le receveur émirati

Philippe Morel, sur le plateau de Léman Bleu:

«La famille de ce patient et lui-même habitent à Annemasse, donc en France voisine. Il a été hospitalisé pour une insuffisance aiguë du foie. Il a été pris en charge par mes collègues de médecine interne, d’hépatologie et de gastro-entérologie. C’est après un certain nombre d’heures que j’ai été informé du fait que ce patient avait un foie qui ne récupérerait pas et que donc il fallait une greffe. (...)

Si on avait eu un receveur à Genève et si ce foie avait été de qualité, ce receveur officiellement inscrit sur la liste et résident en Suisse aurait été prévenu, serait venu à l’hôpital et c’est lui que nous aurions transplanté. C’est évident.

Il faut quand même dire que le receveur en question a été greffé dans des conditions, comme le souligne Swisstransplant, très clairement, parfaitement justes. Ce patient a bénéficié de ce foie et a vécu. Je pense que c’est un être humain qui a bénéficié de cette greffe et (…) cela n’a pas été fait au détriment d’autres receveurs à ce moment-là.»

Plus tard dans l’émission, Philippe Morel ajoute:

«D’abord ce n’était pas mon patient. C’était un patient suivi par la médecine et la gastroentérologie. Aucun patient appartient à aucun médecin.»

Vérification. Plusieurs éléments posent problème:

  • L’origine émiratie de ce receveur était parfaitement connue par toute l’équipe aux HUG, comme le montrent les documents consultés par Heidi.news.

  • Le receveur émirati n'était pas domicilié à Annemasse, mais à Abou Dhabi.

  • Le patient était hospitalisé au neuvième étage des HUG, division privée de chirurgie, et y a été hospitalisé plusieurs semaines. Le procès-verbal de mise en liste l’identifie clairement comme un patient du Dr Morel.

  • Le protocole de coordination montre également que Philippe Morel avait demandé à être informé pour toute offre de foie compatible à ce patient.

  • En d’autres termes, il avait pris les dispositions préalables nécessaires pour s’occuper lui-même de la greffe.

  • En plus du receveur zurichois, il y avait aussi un receveur genevois potentiel. On voit dans le protocole que le Dr Pietro Majno a déconseillé à Philippe Morel de prendre ce foie pour le patient émirati. Il optait plutôt pour qu’un autre patient en liste à Genève soit le receveur, «à condition que Zurich ne prenne pas ce foie», selon le protocole de coordination consulté.

La plainte pénale

Philippe Morel, sur le plateau de Léman Bleu:

«J’ai porté plainte pénale pour ces allégations qui sont calomnieuses, ignobles et fausses. Elles sont évidemment dans une période politique particulière dirigées contre moi. La plainte pénale est déposée. Elle vise le journal et la journaliste.»

Vérification. Heidi.news n’a à ce jour pas été officiellement informé d’une éventuelle plainte à son encontre. Selon nos informations, cette plainte pénale pour calomnie et diffamation a été déposée contre inconnu.

Les médecins cités

Philippe Morel, sur le plateau de Léman Bleu:

«Il y a dans cet article de Heidi.news, les noms de deux chirurgiens: les Prs Berney et Majno qui ont à l’évidence révélé la date du prélèvement, qui ont donné des détails, qui sont en partie justes et en partie faux, mais ils ont clairement violé d’une part le secret médical, et d’autre part, le secret de fonction. Et ceci ne pourra pas rester impuni.

Je constate que dans cet article, il est mentionné la date du prélèvement et imaginez les conséquences que cela peut avoir à la fois pour la famille du donneur (il y a maximum un prélèvement par jour en Suisse) et pour les familles des receveurs. Ça, c’est gravissime.»

Vérification. Ce ne sont pas les médecins cités par Philippe Morel qui ont révélé la date du prélèvement, mais c’est le protocole de coordination locale de cette transplantation qui a permis de connaître la date de la transplantation, ainsi que le numéro de dossier. De plus, ils n’ont pas livré de détails.

Les cadeaux

Philippe Morel, sur le plateau de Léman Bleu:

«La perception d’honoraires par les différents médecins (anesthésistes, réanimateurs, internistes) pour des patients transplantés est interdite. C’était aussi le cas à l’époque. Il n’y a évidemment eu aucun honoraire touché ni par l’un ni par l’autre. Et, je certifie qu’il n’y a eu aucun cadeau, aucun présent, ni à moi ni à ma famille. J’ai toujours travaillé pour les autres. Je ne suis pas un homme d’argent, je suis un homme d’intérêt scientifique.»

Vérification. Plusieurs sources concordantes confirment qu’au moins un présent de grande valeur a été offert aux membres de l’équipe s’étant occupée de cette transplantation.