Donia Dellagiovanna et Alexandre Rebmann ont créé le projet Maé avec d'autres étudiants , à Genève. | Heidi.news / LM
A Genève, des étudiants ont monté le projet Maé dans le but d’informer la population et les futurs médecins sur le système de santé suisse. Galop d’essai ce vendredi 11 novembre, avec une conférence en présence de Mauro Poggia, conseiller d’Etat en charge de la santé.
Ils n’ont pas encore 25 ans, des cours plein l’agenda, mais rêvent déjà d’une médecine plus accessible et équitable. Et ils se démènent pour cela. Un groupe d’étudiants universitaires a monté récemment le projet Maé, au sein de l’Association des étudiants en médecine de Genève (AEMG). Première étape pour la jeune formation: décrypter le système de santé pour le restituer au grand public et à la communauté étudiante. Elle organise une conférence au Centre médicale universitaire de Genève ce 11 novembre, en présence de Mauro Poggia.
Pourquoi c’est bienvenu. Bien que les enjeux soient importants, le système de santé suisse est si complexe qu’il peut être décourageant de s’y plonger. Le projet Maé vise à le rendre accessible à tout un chacun et à le questionner. Politiquement non alignés, les fondateurs expliquent agir au nom de la solidarité et de la santé publique. Ils dénoncent le prix des médicaments et l’opacité des assurances-maladie, et militent en faveur d’une revalorisation des médecins de premiers recours.
Des jeunes qui se bougent. Ils ne battent pas le pavé ni ne s’allongent sur des voies d’autoroute. L’indignation est là, mais le combat s’articule autrement.
En 2021, une émission de la RTS, qui met en lumière les pressions qu’exercent les assurances-maladie sur les médecins dans leur pratique, tourne sur le groupe WhatsApp des étudiants en médecine de troisième année à Genève.
Le sujet fait réagir. «Cette émission m’a travaillée», se souvient Donia Dellagiovanna, 24 ans et co-fondatrice du projet. Elle prend alors contact avec Alexandre Rebmann qui a posté le lien. En compagnie de quatre autres étudiants, ils retroussent leurs manches et s’attellent à comprendre les rouages de notre système de santé. Ils décident de monter un projet, pour informer et militer, qu’ils baptisent Maé — pour Médecine accessible et équitable.
Systèmes tarifaires, démographie médicale, augmentation des coûts de la santé: la thématique est vaste. Ils reprennent leurs cours, parcourent la littérature scientifique, lisent la presse et sollicitent des entretiens avec divers acteurs du système de santé, parmi lesquels la pharmacienne cantonale Nathalie Vernaz-Hegi, Pierre-Yves Maillard, conseiller national et président de l’Union syndicale suisse, et Mauro Poggia, conseiller d’Etat à la santé.
Alexandre Rebmann:
«Nous ne voulons pas nous ranger derrière un parti politique, mais nous rendons bien compte que ces sujets sont éminemment politiques. Disons qu’on se range du côté du bien commun, de la santé publique.
Quand nous rencontrons ces acteurs du système de santé, nous leur expliquons ce que nous avons compris de la façon dont on fait la médecine aujourd’hui, puis nous écoutons ce qu’ils ont à dire, préciser ou corriger. Nous faisons une sorte de reality check en confrontant leur expérience avec notre compréhension d’une problématique.»
Informer. Ce vendredi 11 novembre marque la première action du projet Maé. De 18 à 21 heures, au CMU de l’Université de Genève, ses membres organisent une conférence autour de problématiques qu’ils ont explorées, avec Mauro Poggia en invité. Intitulée «Pénurie de généralistes, polypragmasie et opacité des assurances: conséquences sur les primes», elle s’adresse autant à la communauté médicale qu’au grand public.
Alexandre Rebmann:
«Nous essayons de politiser les étudiants de médecine et d’aiguiser leur sens critique. De les intéresser avec une figure majeure de la politique genevoise et de leur faire comprendre que notre système et ses imperfections sont très concrets. C’est une grande première pour nous et c’est intimidant, mais c’est aussi une belle aventure.
Pendant nos six ans d’études de médecine, on nous demande d’absorber une quantité d’informations qui est telle que, forcément, ce n’est pas notre esprit critique que nous exerçons le plus car nous assimilons principalement de la matière qui n’est plus tellement controversée. Par habitude, on ne se pose alors pas assez la question de la pertinence de certains éléments de notre système. Parce que ce n’est pas la priorité et que nous n’avons pas forcément le temps. Pourtant, nous pouvons faire bouger les lignes.»
Militer. Dans le viseur des étudiants, notamment: la revalorisation des médecins de premier recours — généralistes, gynécologues et pédiatres —, vus comme les «véritables boussoles du système de santé».
Un enjeu majeur à l’heure où, en Suisse, un médecin sur quatre est âgé de 60 ans ou plus, que les coûts de la santé explosent et que la pénurie menace. Elle est même déjà palpable, dans certaines régions. Alexandre Rebmann:
«Le généraliste est le lien entre le système de santé et le patient, c’est grâce à lui que le patient va adhérer à un traitement, éviter de consulter des spécialistes inutilement et prendre en main sa santé. Seulement aujourd’hui, c’est l’acte médical qui est financièrement valorisé plutôt que le temps de qualité passé avec le patient et la prévention.»
Donia Dellagiovanna:
«Ce qui m’indigne dans la situation actuelle, c’est que si elle persiste, il y a un grand risque que ça se répercute sur la qualité des soins. Ce n’est pas seulement dans l’intérêt strict du médecin que je m’engage, mais dans une optique plus globale: pour la profession, les patients, le système de santé, au nom de la solidarité. C’est mon moteur.»
De la chance d’être étudiants. Pour Alexandre Rebmann, rien de tel que leur statut d’étudiants pour générer le débat:
«Les étudiants ont une position privilégiée. Contrairement aux médecins, qui sont sous pression et souvent fragmentés dans l’espace, entre la médecine de ville et l’hôpital, nous travaillons tous ensemble au même endroit. Nous avons une grosse charge de travail certes, mais un espace privilégié pour les échanges. C’est beaucoup plus simple pour s’informer, débattre et aiguiser notre sens critique.»
S’il est difficile pour des médecins en exercice de faire grève sans impacter la qualité des soins, ajoute celui qui se destine à la médecine générale, les étudiants sont en position de peser sur le débat:
«Prenons un exemple. A l’heure actuelle, les pouvoirs publics et l’université investissent pour valoriser la formation en médecine générale à cause de la pénurie.
Si de nombreux étudiants de Suisse font une vidéo en expliquant qu’ils voudraient bien être généralistes mais qu’ils ne le deviendront pas dans les conditions actuelles, qu’ils génèrent une bonne audience avec le bon timing politique et en réclamant une action concrète: ils pourraient peser sur certains rapports de force et, par exemple, pousser les assurances à changer leur méthode de contrôle, principalement injuste pour les médecins de premier recours.»