Des problèmes de fond. La mission sur l’origine de la pandémie est conjointe: elle combine des experts sélectionnés par l’OMS et des experts chinois, choisis par Pékin. Cette solution résulte d’un compromis serré, la Chine ayant choisi d’encadrer très étroitement cette mission à haut enjeu politique. Les scientifiques n’ont eu accès qu’aux informations qu’on a bien voulu leur communiquer. Parfois de façon spartiate, comme l’indique le Wall Street Journal, qui révèle que l’ensemble des dossiers médicaux des premiers patients Covid-19 de Wuhan n’a pas même été mis à disposition.
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Les dix-sept experts de l’OMS, qui ont disposé de peu de temps et de liberté d’investigation, n’ont eu d’autre choix que de s’en remettre à la bonne foi de leurs homologues chinois. Un pari que d’aucuns jugent audacieux, dont les signataires de la lettre ouverte, qui concluent ainsi leur réquisitoire:
«Nous sommes donc parvenus à la conclusion que l’équipe conjointe n’avait pas le mandat, l’indépendance ou les accès nécessaires pour pouvoir mener une enquête complète et sans restriction sur toutes les hypothèses concernant l’origine du SARS-CoV-2, qu’il s’agisse d’un événement zoonotique ou d’un accident lié à un laboratoire de recherche.»
De manière plus secondaire, les signataires s’interrogent aussi sur le processus de sélection des experts de l’OMS, qui n’aurait «pas permis de détecter correctement les conflits d’intérêts», et sur les prises de positions préalables d’un des membres de l’équipe, le zoologue américain Peter Daszak, jugées favorables à la Chine.
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Les vingt-six signataires de la lettre ouverte invitent à considérer l’ensemble des scénarios possibles sur l’origine de la pandémie, en mettant l’accent sur les possibilités d’une contamination accidentelle dans le cadre des recherches sur les coronavirus menées en Chine depuis l’épidémie de Sras. Ils réclament une enquête indépendante, par des experts anonymes si nécessaire, et l’accès à l’ensemble des données détaillées (médicales, virologiques, épidémiologiques…), des échantillons et des personnels pertinents.
La piste des recherches humaines. Un exemple illustre bien le débat sous-jacent. L’hypothèse d’une émergence de Sars-CoV-2 en laboratoire, sur la base de recherches virologiques puis d’une contamination accidentelle, est un scénario débattu dans la communauté scientifique – rarement privilégié mais difficile à exclure formellement. Cette éventualité est notamment mise en avant par plusieurs signataires de la lettre ouverte au Monde et au WSJ, comme les virologues français Etienne Decroly et Bruno Canard, ou encore l’épidémiologiste australien Colin Butler.
La mission de l’OMS juge l’hypothèse de l’accident de laboratoire «extrêmement peu plausible», mais les données à l’appui de cette conclusion semblent étonnamment fragiles. A en croire les déclarations en conférence de presse, il s’agit principalement d’entretiens avec une poignée de virologues et administratifs des institutions concernées (dont le laboratoire de virologie de Wuhan) et de l’examen d’une liste des recherches compilée par les autorités chinoises. Là encore se pose la question de la confiance, laquelle ne pèse pas bien lourd face aux enjeux géopolitiques évidents pour Pékin.