Cette guerre des mots a commencé il y a peu. Le président martèle depuis une semaine environ le terme de «virus chinois» dans ses tweets et ses interventions télévisées. Ici, le détail n’a échappé à personne. On ne s’étonnera pas de son désintérêt pour le sort de la communauté sino-américaine, livrée comme chair à canon au racisme populaire. Mais pour une administration qui montre depuis toujours une véritable indifférence à l’égard des mots et de la valeur des mots, cette soudaine raideur terminologique a de quoi surprendre.
Derrière ces manœuvres, on pressent l’influence d’un narratif, surtout en cette année électorale: les Chinois sont les premiers à blâmer, puis les Européens, coupables d’avoir tardé dans l’action.
Quant à elle, l’Amérique n’est que la victime de l’incompétence du reste du monde.
L’Amérique, c’est-à-dire Donald Trump et son administration.
Alors même que la crise sanitaire ne fait que commencer aux Etats-Unis, le président et ses proches n’épargnent aucun effort pour limiter les dégâts d’image. Quitte à faire capoter une réunion internationale pour imposer une terminologie douteuse. Cette frénésie de communication rend d’autant plus incompréhensible l’inaction du gouvernement.
Les Etats se chargent de presque toutes les décisions importantes, potentiellement impopulaires — fermeture des écoles et des commerces, mesures de confinement. Des dispositions prises dans le désordre, sans concertation, précisément parce que Washington, la capitale fédérale, a renoncé à son rôle de coordinateur.
L’administration Trump se trouve donc à la fois figée dans l’attentisme — malgré les morts annoncées — et remuant terre et ciel pour préserver sa réputation. Une position singulièrement schizophrénique. Comme si le chef de l’Etat croyait suffisamment en la menace pour craindre des conséquences personnelles, mais pas assez pour protéger la population à la destinée de laquelle il est censé présider. On aura rarement vu pareille conjugaison d’incompétence, de cynisme et de lâcheté.
A quelques centaines de kilomètres de chez moi, New York City figure en tête de liste de l’OMS pour devenir le prochain épicentre mondial de la pandémie. Dans les quartiers huppés de Manhattan ou les banlieues lépreuses du Bronx, des milliers de personnes risquent la mort, d’autant que ni le système de santé ni le filet social américains ne brillent par leur robustesse. Mais ce qui compte avant tout, pour le président, c’est que le mal qui aura fauché ces vies porte le nom d’un autre. L’autre, l’éternel coupable d’une administration infantile qui, hier justement, prenait au piège les ministres du G7 dans une querelle de bac à sable.
Ce n’est pas moi, c’est lui… Nous en sommes là.