L'urgence de placer le vivant au cœur de l’action politique

Sophie Swaton. Photo : Félix Imhof © UNIL

Cet entretien a été publié en anglais par Geneva Solutions. Lire la version originale ici.

Nous rencontrons Sophie Swaton, co-auteur de "Retour sur Terre". Philosophe et économiste, elle est enseignante-chercheure à l’Université de Lausanne. Elle préside la fondation ZOEIN qu’elle a créée en 2017 et au sein de laquelle elle expérimente le revenu de transition écologique dont elle est la conceptrice. Le 26 septembre prochain elle animera une table ronde avec 3 des co-auteurs de Retour sur Terre, pour le festival Alternatiba dont elle est la marraine. Elle a accepté de répondre à nos questions sur son dernier texte collectif.

Geneva Solutions: Avec plusieurs autres chercheurs, vous venez de publier un programme quasi révolutionnaire, Retour sur Terre. Quelle est l'intention de ce livre et des 35 propositions que vous partagez?

Sophie Swaton: Ce livre a été écrit durant le début du confinement, lorsque, après quelques semaines seulement, les premières photos circulaient d’un ciel clair, de redécouverte du silence et de ses vertus, de prise de conscience de l’importance des métiers du soin et d’un Etat résilient en période de crise. Le parallèle avec la crise écologique et sociale que les scientifiques nous annoncent semblait évident. Notre intention était donc de prendre le temps de penser et de poser quelles pourraient être des mesures idéales tendant vers une véritable  société écologique. Que pourrait-on proposer en terme de programme social, économique et politique qui prenne au sérieux les menaces d’effondrements ?

Vous proposez l'instauration en France d’une 3e chambre parlementaire, la Chambre du Futur, qui aurait le rôle de garantir de l'intérêt à long terme de nos sociétés face à la crise écologique. Pouvez-vous nous en dire plus?

Cette proposition s’inscrit dans une dynamique démocratique pour transformer progressivement les institutions et que l’Etat soit réellement le garant du respect de l’empreinte écologique et des limites planétaires. Cela place au centre la question du statut de sujet de droits des écosystèmes par exemple ou des éléments le constituant (fleuves, glaciers). De fait, il s’agit d’une perspective de temps long à prendre en compte dans le pouvoir législatif pour en renforcer la représentativité. C’est à ce titre que ferait sens la création d’une Chambre du futur entre le Sénat et l’Assemblée nationale, s’appuyant sur des principes constitutionnels rénovés.

Certaines mesures évoquent la mise en en place à court terme de quotas individuels et collectifs d'énergie et de matière, de façon à établir les conditions d'une trajectoire durable. La gravité de la crise écologique déplace-t-elle le curseur entre liberté et coercition ? Comment l'Etat peut-il à l'avenir se faire garant d'un juste équilibre entre les deux tout en étant à la hauteur de l'enjeu?

Précisément, cette mesure des quotas ne peut se comprendre sans l’enjeu en cours : c’est de la survie de l’humanité dont il est question ! Le mot liberté a-t-il un autre sens que celui de consommer trois fois plus –au moins- que ce que la Terre peut supporter pour se régénérer ? Nous l’espérons. Car c’est bien pour nous protéger et nous permettre de continuer à exercer notre liberté de nous soigner, nous instruire, nous loger, nous exprimer, entreprendre et investir, travailler dans un emploi qui fasse sens pour soi et pour la société que nous avons besoin d’un cadre. Ce cadre est celui des limites planétaires, qu’une mesure comme celle des quotas opérationnalise quelque part, mais sans coercition fasciste ou punitive : cette mesure elle-même s’accompagne d’autres, dont des aides à la transformation du modèle économique local et global.

Cette mesure des quotas ne peut se comprendre sans l’enjeu en cours : c’est de la survie de l’humanité dont il est question ! Le mot liberté a-t-il un autre sens que celui de consommer trois fois plus –au moins- que ce que la Terre peut supporter pour se régénérer ? Nous l’espérons.

Entre le bien public et les biens privés, vous proposez le développement des "biens communs". De quoi s'agit-il ?

Les biens communs ou « communs », dans la filiation historique de l’économie sociale et solidaire, se situent à mi-chemin entre le tout marché et le tout Etat. Pour être qualifié de commun, il faut une ressource à protéger ; une communauté pour la gérer ; et des règles à respecter. En ce sens, nous avons besoin d’un Etat qui puisse garantir la protection des communs et leur libre expression. En se posant comme rempart face à une privatisation excessive et face au détournement du bien public dont il ne saurait sans contradiction se faire le complice.

Retour sur terre, pourquoi le choix de ce titre? Qui sont au fond les idéalistes et qui sont les réalistes à notre époque?

Nos mesures sont une forme radicale de refus de la domination destructrice des êtres humains, non pas simplement entre eux, mais sur le vivant et le non-vivant. Nous n’avons pas de plan B mais une seule Terre ! Les réalistes sont ceux qui, comme nous, estiment que nous ne pourrons pas partir à 9 milliards sur Mars, planète sans vie ! La Vie est encore sur Terre. Retournons-y humblement et protégeons-là tant qu’il est encore temps. Nous avons encore une dizaine d’années devant nous. Saurons-nous réagir pour placer l’écologie du vivant au cœur de l’action politique ? L’avenir nous le dira assez vite.

Les réalistes sont ceux qui, comme nous, estiment que nous ne pourrons pas partir à 9 milliards sur Mars, planète sans vie ! La Vie est encore sur Terre. Retournons-y humblement et protégeons-là tant qu’il est encore temps.