Amiran et sa mère Lela sur la place des Nations, à Genève. | Courtoisie

A Genève, une vie sous la menace du renvoi

Amiran, 9 ans, et sa mère Lela, 30 ans, ont été brutalement expulsés de Genève et renvoyés en Géorgie en vol spécial. Ils étaient présents depuis plus de quatre ans en Suisse, bien intégrés mais dans une situation foncièrement instable.

Publié le 15 décembre 2022 14:30. Modifié le 16 décembre 2022 08:58.

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Comment en est-on arrivé à renvoyer Amiran et ses parents, parfaitement intégrés, à quelques semaines de Noël? Cette question, lancinante, doit s’apprécier à la lueur d’une histoire familiale difficile.

Dans la machine administrative

En 2014, le mari de Lela Abashidze est victime d’un grave accident de voiture en Géorgie. Leur fils n’a alors que quelques mois. La jeune mère décide d’emmener sa famille en Suisse pour son système de santé — plus performant que le système géorgien. Ils arrivent à Genève en 2018.

Depuis l’accident, le père d’Amiran souffre d’un handicap sévère — il se déplace en fauteuil roulant — et de troubles neurocognitifs, mnésiques et anxiodépressifs. Après une période très difficile, faite de cris et de violences conjugales. Le couple se sépare.

Mère et fils emménagent au centre d’hébergement de Rigot dans le quartier des Nations. Déboutée du droit d’asile, Lela n’a pas le droit de travailler, mais effectue un stage en cuisine avec Camarada, une association qui œuvre pour l’accueil et la formation de femmes migrantes.

Depuis plusieurs années, Lela Abashidze se rend régulièrement à l’Office cantonal de la population et de la migration (OCPM) pour faire viser son attestation de délai de départ.

Son dernier rendez-vous aurait dû avoir lieu le 8 décembre – dix jours après le renvoi fatidique.

Pas de vice dans la procédure

Malgré de multiples recours — le dossier est passé devant le Tribunal administratif fédéral —, et une intégration réussie, la décision de l’exécution du renvoi a été confirmée.

La faute à des certificats médicaux présentés hors délai? Impossible de savoir si les documents, fournis à temps, auraient pu faire pencher la balance, estime Nicolas Stucki, l’avocat neuchâtelois en charge du dossier depuis le printemps 2021.

«La Géorgie n'est pas un pays en guerre et il existe un protocole de réadmission avec la Suisse. La décision de renvoi était définitive et exécutoire», explique-t-il, pointant cependant une zone grise:

«Il n’y a pas de vice de procédure, les autorités sont dans leur droit. Reste à savoir comment elles apprécient les certificats médicaux pour évaluer si un renvoi est exigible ou non. Trois motifs peuvent empêcher un renvoi:

  • s’il est impossible par exemple à cause de l’absence d’accord entre le pays et la Suisse ou un état de guerre,

  • s’il est illicite, par exemple si la personne risque la torture en cas de retour au pays,

  • et s’il est inexigible par exemple à cause d’une maladie grave et d’un système de santé défaillant dans le pays d’origine. C’est cette dernière option que ma cliente voulait faire valoir pour elle et sa famille.»

L’avocat ne peut se départir de l’impression d’avoir été tenu à l’écart de la procédure:

«Pour des raisons obscures, l’administration genevoise n’aurait pas retrouvé ma procuration en 2022, ce qui est extrêmement surprenant. Cela a ralenti la circulation des informations. Mais ce problème bureaucratique n’a pas eu de lien causal, à mon sens, sur l'exécution de leur renvoi. Les cantons sont pris à la gorge par la Confédération, ils sont tenus de procéder à l’exécution du renvoi, sans quoi ils ne reçoivent plus de subventions fédérales.»

A Genève, des amis de la famille ont lancé une collecte de fonds et une conférence de presse est agendée pour vendredi 16 décembre. Ils comptent sur la couverture médiatique pour mettre en lumière la situation compliquée de la famille.

Quand les droits de l’enfant barrent la route au renvoi

En Suisse, il est déjà arrivé que l’intérêt supérieur de l’enfant empêche l’exécution d’un renvoi. En 2017, le Tribunal administratif fédéral a renoncé à renvoyer une famille géorgienne, non pas à cause de la situation géopolitique dans le pays ou de l’état de santé des parents, mais parce qu’il a estimé qu’un renvoi serait incompatible avec la Convention relative aux droits de l’enfant. Pour évaluer la situation, le Tribunal s’est penché sur plusieurs critères, dont l’âge des enfants, leur état et les perspectives de leur développement et de leur formation scolaire et le degré de réussite de leur intégration.

En l'occurrence, l’aîné de la famille géorgienne qui n’a pas été renvoyée, arrivée en Suisse en 2009, était très bien intégré et avait effectué l’intégralité de sa scolarité dans le pays. De ce fait et pour éviter un déracinement aux conséquences dramatiques, l’exécution du renvoi a été jugée inexigible, voire illicite. Ce qui a permis à toute la famille, au nom de l’unité familiale, d’être admise provisoirement. Aux yeux du juge fédéral, l’intérêt supérieur de l’enfant a prévalu sur la politique migratoire suisse.