Affrontements sur la place de l'Indépendance le 19 février 2014. Le lendemain, les forces de l'ordre feront une cinquantaine de morts parmi les manifestants. | AP Photo / Sergei Chuzavkov
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Il y a dix ans à Kiev, un post sur Facebook et paf! une révolution

Le 21 novembre 2013, un journaliste lance un appel à manifester contre le pouvoir qui refuse au dernier moment un rapprochement avec l'Europe. Date et lieu prévus: le jour même, place de l'Indépendance à Kiev. Succès immédiat. La révolution de l'Euromaïdan démarre et, malgré la répression, fait chuter le régime. Mais les Russes en profitent pour occuper la Crimée. Débute alors une guerre civile qui durera dans l'indifférence internationale, jusqu'à l'invasion russe de 2022.

Publié le 25 avril 2023 17:00. Modifié le 28 avril 2023 16:13.

Mustafa Nayyem est un Ukrainien né à Kaboul en 1981 dans une famille bourgeoise afghane. En 2013, il est journaliste à la Ukrayinska Pravda, réputé pour ses positions européistes et ouvertement critiques à l'égard de la Russie et de ses relais en Ukraine: politiciens, agents d’influence et oligarques.

Le 21 novembre 2013, comme la majorité de ses concitoyens, Nayyem est excédé par une volte-face du président Viktor Ianoukovitch. Elu en 2010 avec 48,95% des voix, l’homme politique proche de Moscou renonce finalement à signer l'Accord d'association avec l'Union européenne, en négociation depuis 2007. Pour, dit-il, «relancer un dialogue actif avec Moscou».

«Les like ne comptent pas»

Cet accord ne constitue pas en soi un traité de première importance. Et le changement de cap de Ianoukovitch ne signifie pas l'absorption de l'Ukraine par la Russie. Mais ce revirement soudain – sept jours avant la signature du traité – succède à trop d’affaires de corruption, d'espoirs déçus et de persécution de l'opposition. La population se sent douchée dans ses espoirs d'une vie normale et d'un rapprochement naturel avec l’Europe. C'est à ce moment-là que Nayyem met le feu aux poudres.

Sur Facebook, il concentre, en quelques lignes, toute la détermination d'un peuple qui n'en peut plus: «Bon, soyons sérieux. Qui aujourd'hui est prêt à venir au Maïdan avant minuit? Les "like" ne comptent pas. Seuls les commentaires sous ce post avec les mots "je suis prêt". Dès que nous en aurons plus d'un millier, nous nous organiserons.»

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La foule rassemblée sur la place Maïdan le 1er janvier 2014, plus de 100'000 personnes. (AP Photo/Efrem Lukatsky)

Selon l'historienne américaine Marci Shore (l’épouse de Timothy Snyder, largement cité dans les épisodes précédents), la formule de Nayyem, «les "like" ne comptent pas», pourrait à la fois définir la nature de l'Euromaïdan et servir de feuille de route pour tous les mouvements sociaux du 21e siècle. Car ce post rencontre un succès immédiat. Des milliers de personnes se dirigent aussitôt vers Maïdan («la place», en ukrainien). Dans les mois qui suivent, ces chiffres gonflent en dépit des violentes répressions et des nuits glaciales. Cet hiver de révolte fera chuter le régime de Ianoukovitch. Et conduira la Russie à occuper la Crimée en mars 2014.

Corruption et élections truquées

Comme toutes les révolutions, celle de 2013-2014 a d'abord des causes économiques et sociales. La situation du pays à l'aube de son soulèvement est déprimante. En vingt-deux ans d'indépendance, la corruption de masse pratiquée par le premier président Leonid Kravtchouk puis son successeur Leonid Koutchma a empêché l'Ukraine de décoller économiquement et d'établir un État de droit crédible.

Les journalistes d'opposition disparaissent parfois sans laisser de traces, les élections sont régulièrement truquées, comme les marchés d'Etat et la quasi-totalité des privatisations. Les années 1990 représentent un long cauchemar pour l'écrasante majorité de la population, tant en Ukraine qu'en Russie, ce qui joue un rôle fondamental dans l'invasion de l'Ukraine de 2022.

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