A Babi Yar, les 29 et 30 septembre 1941, les Allemands ont fusillé 33'771 juifs. Image retrouvée sur le corps d'un soldat allemand tué en URSS. Bridgeman Images.
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En  1941, un monstrueux massacre de juifs à Kiev fait démarrer l’Holocauste

L’invasion de l’URSS par les nazis est avant tout une invasion de l’Ukraine. Après avoir pris Kiev, ils convoquent «tous les juifs» au fossé de Babi Yar. C'est un piège. Plusieurs dizaines de milliers sont fusillés à la chaîne dans cet assassinat de masse qui restera comme la «Shoah par balles». A la manœuvre, on trouve le colonel SS Paul Blobel, qui s'en inspirera pour lancer la «Solution finale» quelques mois plus tard. Après guerre, l'URSS niera le caractère juif du massacre de Babi Yar.

Publié le 23 mars 2023 06:00. Modifié le 26 mai 2023 00:01.

Le 28 septembre 1941, l'administration allemande publie un communiqué dans les journaux et sur les murs de Kiev:

«Tous les juifs de Kiev et de ses environs devront se présenter le lundi à 8 heures du matin à l’angle des rues Melnikovskaïa  et Dokhturovska (près des cimetières). Ils devront être munis de leurs papiers d’identité, d’argent, de leurs objets de valeurs, ainsi que de vêtements chauds, de linge, etc. Les juifs qui ne se conformeront pas à cette ordonnance et seront trouvés dans un autre lieu seront fusillés. Les citoyens qui pénétreront dans les appartements abandonnés par les juifs et s’empareront de leurs biens seront fusillés.»

Il faut reconnaître aux Allemands une constance dans leur ironie grinçante, lorsqu'on sait que tous ceux qui répondront à cet appel seront fusillés les deux jours suivants.

L’Ukraine, but de guerre

Tout a commencé le 22 juin de cette année 1941, avec l'invasion de l'URSS par trois millions de soldats de la Wehrmacht. L’opération Barbarossa cueille Staline à froid. Peut-être pour la première fois de son existence, il tombe dans une stupeur dépressive qui le rend incapable de réagir pendant plusieurs jours. Staline semble indiquer à son entourage que, pour lui, tout est perdu.

Depuis le 23 août 1939 et le pacte germano-soviétique, les Russes se sentaient en sécurité et considéraient qu'Hitler s'en tiendrait sagement à la Pologne. Or, selon l’historien américain Timothy Snyder, grand spécialiste de la région, le véritable but de la guerre allemande à l’Est, c’est l’Ukraine. Pourquoi? «Parce que l'Ukraine jouait un rôle très particulier dans la pensée d’Hitler, explique-t-il dans une conférence à Kiev en 2016. Lorsque Hitler parlait d'un “Lebensraum”, (espace vital), il s'agissait avant tout de l'Ukraine, grenier à blé capable de nourrir l’Allemagne. C'est pourquoi la guerre à l'Ouest a été menée avec des méthodes totalement différentes de celles utilisées à l'Est, où il s'agissait d'une guerre d'extermination et de colonisation.»

Prendre l’Ukraine pour affamer l’URSS

Cette observation est très importante dans le contexte actuel. En effet, la violence inouïe de l’attaque allemande à travers l’Europe de l’Est, l’URSS et surtout l’Ukraine reste mal connue en Europe de l’Ouest, où la Seconde Guerre mondiale est souvent réduite à Auschwitz et au débarquement de Normandie. La vraie guerre, avec ses millions de victimes et ses pays entièrement dévastés, c’est entre Varsovie et Kiev qu’elle s’est déroulée. Les conséquences psychologiques, sociologiques et politiques de cette agression restent présentes jusqu’aux justifications de l’invasion de février 2022 et la volonté de «dénazification» brandie par Vladimir Poutine.

D’ailleurs, le IIIe Reich n’a jamais songé à occuper toute l’URSS, poursuit Snyder: l’Ukraine lui suffisait. Car en privant l’URSS du blé ukrainien et du charbon du Donbass, Hitler était convaincu de mettre Staline à genoux. Ainsi, le 19 septembre 1941, les Allemands prennent Kiev et ses 900'000 habitants, dont 120'000 juifs. Ils capturent 650'000 soldats de l'Armée rouge et occupent immédiatement les lieux du pouvoir soviétique, selon leur habitude, pour marquer leur qualité de nouvel occupant.

Les juifs ciblés

Connaissant cette tactique, les Russes avaient miné ces immeubles, attendant que les Allemands s'y installent. Le 24 septembre, ils font exploser leurs charges, tuant des milliers de soldats allemands et provoquant d'énormes incendies au centre de Kiev.

Au même moment, dans un désordre épouvantable, la majorité des juifs fuient la ville et se réfugient où ils le peuvent, à la campagne ou hors des frontières. Les Allemands décident alors d'imputer la responsabilité de ces explosions meurtrières aux juifs. Ce n’est pas un hasard: dans la pensée d’Hitler, estime Timothy Snyder, les juifs constituent le principal obstacle à la victoire de l’Allemagne sur l’Ukraine, sur l’URSS et sur l’Europe entière. Le principal obstacle aussi pour établir la preuve que les Allemands aryens sont un peuple supérieur à tous les autres. Pour lui, les juifs sont à l’origine des trois idéologies qui professent une égalité entre les humains et nient la supériorité d’une race sur l’autre: le christianisme, le capitalisme et le communisme.

Si bien que deux jours après les explosions, les Allemands publient le communiqué ci-dessus. Leurrés, les juifs pensent qu'on va les déporter ou les réquisitionner pour des travaux. Ils obéissent aux ordres.

Paul Blobel, un SS aux manettes

Le colonel SS Paul Blobel a déjà de l'expérience dans ce sinistre département. La mort est son métier, comme dit le roman de Robert Merle consacré à Rudolf Höss, le commandant du camp d'Auschwitz-Birkenau. En août, Blobel a enfermé puis fait exécuter sur ordre direct d'Hitler la totalité des milliers de juifs habitant les villes ukrainiennes de Jytomyr et de Bila Tserkva. En septembre, il se trouve à Kiev et met à profit son expérience.

Il organise des régiments de Waffen-SS, de policiers allemands mais aussi des bataillons de nationalistes ukrainiens. Le 29 septembre au matin, ses troupes conduisent les juifs au fossé de Babi Yar, ou «ravin des bonnes femmes», à l'ouest du centre-ville. Il s'agit d'un ravin naturel creusé par une rivière sur 150 mètres de long, 30 mètres de large et 15 mètres de profondeur.

33'771 juifs fusillés en deux jours

Les juifs sont menés à travers un étroit couloir d'un mètre cinquante de large environ, formé par des soldats équipés de matraques et de bâtons, dont ils se servent pour les rouer de coups et les terroriser. Une fois devant le ravin, on leur ordonne d'abandonner leurs biens et de se déshabiller. Puis ils doivent y descendre et s'allonger le long des parois de terre. Alors, on les exécute.

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