"L'Homme qui court", de Kasimir Malevitch, daté de 1930 ou 1931 (détail). L'illustre peintre soviétique, d'origine polonaise et de culture ukrainienne, est alors persécuté par le régime stalinien, après avoir été une des figures de l'avant-garde artistique de la révolution bolchévique. Ouverte à intérprétation, cette toile a notamment été vue comme une évocation des difficultés de la paysannerie, en cette période de famines et de collectivisation forcée. | Wikicommons / CC BY 3.0
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«Effrayant mais nécessaire»: en 1932, Staline offre à l'Ukraine son premier génocide

Sous prétexte de financer l'industrialisation de l'URSS, Staline impose la collectivisation des terres et le contrôle de la production agricole en Ukraine. Il entend aussi mieux surveiller les koulaks, ces paysans un peu moins pauvres que les autres. Mais le chef du Kremlin ne récolte qu'une montée des insurrections et du nationalisme ukrainien. Pressé par la Dépression de 1929, il accroît les ponctions sur la production de grains. Débute une famine, l'Holodomor, qui provoque des millions de morts.

Publié le 20 mars 2023 06:00. Modifié le 23 mars 2023 06:57.

«Lorsque l'on soutient que l'Ukraine est dévastée par la famine, permettez-moi de hausser les épaules.» Ainsi s'exprimait Edouard Herriot, éternel maire radical-socialiste de Lyon, en descendant de son train en septembre 1933. Il revenait d'un voyage en Ukraine effectué sur invitation de Staline en personne.

Si certains s'en étaient émus à l'époque, déjà conscients de la naïveté de l'élu français, ces paroles ont pris avec le temps une teinte déchirante. Car au moment où Herriot se faisait berner, des millions d'Ukrainiens, à quelques kilomètres de lui, mouraient dans les souffrances abominables d'une famine décidée et organisée par Moscou.

Le maire de Lyon roulé dans la farine

Ce que l'Histoire a retenu sous le nom d'Holodomor, ou «extermination par la faim en ukrainien», avait pris en 1933 des proportions telles que le monde extérieur commençait à se poser des questions. Aussi Staline avait-il invité Herriot. Et le premier homme politique français à se rendre officiellement en URSS s'y fit «potemkiniser».

L'Histoire, en Ukraine, a tendance à bégayer. Pour la venue de Herriot, les Soviétiques avaient chassé les Ukrainiens affamés. Des Russes bien nourris les avaient remplacés à la hâte, dans des kolkhozes parfaitement nettoyés. En 1787, Catherine la Grande s'était aussi fait balader par son amant-ministre Potemkine. Pour la convaincre de la bonne gestion et de la prospérité de la Crimée, il avait ordonné de repeindre et décorer les villages et de rhabiller les villageois exsangues qui croisaient le chemin de l'impératrice.

Si le plan échoue, c'est la faute de la réalité

En 1933, l'Holodomor, officiellement débuté en 1932, bat son plein. Ses causes, ses motivations et sa nature suscitent des disputes dont l'intensité divise la société ukrainienne, les historiens et les nations du monde entier. L'épisode d'aujourd'hui ne pourra que scandaliser les uns et irriter les autres, quel que soit l'angle choisi. Essayons toutefois d'y pénétrer sans idées préconçues.

Indubitablement, la cause première de cette catastrophe tient à la nature du régime soviétique, qui a toujours affirmé la primauté des idées et de la politique sur la réalité. Le quotidien vécu par des millions de gens doit immanquablement se plier au plan génial concocté par quelques-uns. Si le plan échoue, c'est la faute de la réalité.

Durant les premières décennies du communisme soviétique, cette vision amène Staline, qui émerge dès 1927 comme le chef absolu de l'URSS, à liquider sans états d'âme des millions de concitoyens sur l'autel de ses plans révolutionnaires, nécessairement supérieurs et vertueux. Dans le domaine économique, qui résiste insolemment aux désirs idéologiques, ces aberrations provoquent des morts innombrables. Appliquées à l'agriculture, les conceptions staliniennes débouchent sur les abominables drames de 1932 et 1933.

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Fillette affamée à Kharkiv, en 1933. Une des photos emblématiques de l'Holodomor. | Alexander Wienerberger

Les koulaks accusés de spéculation

Pour comprendre comment les Soviétiques ont pu sacrifier sans remords tant d'Ukrainiens par des méthodes aussi révoltantes, il faut combiner deux éléments apparemment distincts mais en réalité inséparables: la collectivisation des terres et la dékoulakisation d'un côté, et la menace constante du nationalisme ukrainien de l'autre. Commençons par la collectivisation.

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